Macron-Netanyahou : France info s’offusque du virage élyséen

Le plateau de France info lors de l’émission « les informés » du 16 octobre 2024  | Capture d’écran France info

Pour appeler Benjamin Netanyahou à respecter l’ONU, Emmanuel Macron a souligné que la création de l’État d’Israël découlait d’une résolution de cette institution. Alors qu’il a exaspéré les sphères pro-israéliennes en France, ce propos semble aussi avoir contrarié la petite équipe des « informés » de France-info qui, d’une seule voix, s’est inquiétée des récentes prises de position du président de la République sur la situation au Moyen-Orient.

« M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU. Par conséquent il ne devrait pas s’affranchir des décisions de l’ONU » : révélée par voie de presse à l’issue du Conseil des ministres du 15 octobre, cette phrase attribuée à Emmanuel Macron a été abordée pendant une dizaine de minutes sur les plateau des « informés » (France info, le 16 octobre).

Il aura fallu moins de 48 heures au président de la République pour rétropédaler sur ce propos, après l’avalanche de réactions qu’il a suscitée en France et au-delà. Dénonçant des « rumeurs », le chef de l’Etat s’en est directement pris à la presse française. Nous incorporons à notre article, après sa publication, l’intervention en question d’Emmanuel Macron (vidéo ci-dessous).

Création d’Israël : France info derrière Manuel Valls ?

La quotidienne de la radio publique affirme proposer à ses auditeurs « un débat d’experts apaisé et pédagogique (sic) ». Apaisé, on peut le dire, puisque d’une seule voix, lesdits experts ont ouvertement regretté le propos du chef de l’État, et qu’aucune analyse divergente n’a émanée du plateau à ce sujet. Pédagogique, un peu moins : il n’a pas été donné aux auditeurs de France info l’occasion d’entendre d’autres réactions politiques que celles de soutiens inconditionnels de l’État hébreu.

En effet, les deux seules réactions françaises citées à l’antenne furent celles de Manuel Valls et d’Aurore Bergé. Rappelons que le premier avait, le 7 octobre 2023 dans une tribune publiée par L’Express, défendu, face au journal L’Humanité, un Benjamin Netanyhaou attaché à des « valeurs démocratiques » et capable de témoigner son « amitié » à la France.

Quant à Aurore Bergé, actuellement empêtrée dans le scandale des crèches privées récemment mis en lumière par le journaliste Victor Castanet, elle appelle régulièrement à ce que l’antisionisme soit considéré comme de l’antisémitisme, laissant parfois échapper son mépris pour la cause palestinienne. « Derrière les drapeaux [palestiniens], on voit bien évidemment la haine », affirmait-elle par exemple sur CNews, le 1er novembre 2023, avant d’être invitée à reformuler son propos.

Ce 16 octobre à l’antenne de France info, les « experts  » convoqués par la radio publique sont tout d’abord amenés à réagir à l’explosion de colère d’un Manuel Valls qui accuse le chef de l’État de ne « rien comprendre à ce qu’est Israël » et d’« oublier les conditions de la création d’Israël et de l’histoire du sionisme ». « C’est sûr que ces propos d’Emmanuel Macron inquiètent la communauté juive de France et le mot est faible », note d’emblée Elizabeth Pineau, correspondante à l’Elysée et à Matignon pour l’agence britanique Thomson Reuters. Dans la foulée, elle ajoute : « On a l’impression qu’Emmanuel Macron ne fait pas la différence entre [d’un côté] ses rapports difficiles avec Benjamin Netanyahou et [de l’autre] son action au Proche Orient, et l’État d’Israël, la sécurité d’Israël, sa naissance, ses fondations. » Quant à Eric Chol, directeur de la rédaction de L’Express (longtemps contrôlé par Patrick Drahi), il appuie ouvertement les propos de l’ex-Premier ministre (à qui son journal avait offert la tribune susmentionnée) : « Ce n’est pas la première [bourde diplomatique d’Emmanuel Macron] depuis le 7 octobre, comme le rappelle Manuel Valls. On se souvient qu’il n’était pas présent à la manifestation contre l’antisémitisme », semble regretter le journaliste.

« Faute », « bourde », « maladresse », « erreur »…

Loin de chercher à nuancer l’exaspération de l’ancien chef du gouvernement contre l’actuel président de la République, « les informés » l’appuient à travers diverses questions rhétoriques, propos rapportés ou encore leurs propres commentaires. Ainsi, pour qualifier les récents propos d’Emmanuel Macron, les experts utilisent trois fois le terme de « faute », deux fois celui de « bourde », deux fois également le mot « maladresse », ou encore parlent d’« erreur ». Autour de la table, on s’inquiète également de supposés « dégâts diplomatiques » des propos en question.

« Quelques jours avant qu’Emmanuel Macron demande d’arrêter de livrer des armes utilisées à Gaza, juste avant le 7 octobre, ce qui était déjà assez maladroit, Emmanuel Macron demande d’arrêter de livrer des armes qui servent à Gaza et au Liban, amalgamant ainsi la situation au Liban et en Israël », déplore pour sa part Agathe Lambret – dont le conjoint (le journaliste vedette de BFMTV Benjamin Duhamel) a récemment accueilli les compliments de l’armée israélienne adressés à sa chaîne. Et la journaliste de France info de regretter la façon dont le chef de l’État avait rendu hommage aux victimes libanaises, après l’attaque aux bipeurs, « sans dire un mot sur le fait qu’Israël visait quand même le Hezbollah, qui est un ennemi de la France ». La présentatrice résume alors les récentes prises de position élyséennes sur la situation au proche-orient en ces termes : « Depuis quelques semaines, on va de mal en pis ! »

Le « débat » est finalement conclu par une citation d’Aurore Bergé, inquiète des propos du président de la République : « J’espère que ce ne sont pas les vrais propos du président parce que sinon je comprends qu’ils sèment le trouble », avait en effet déclaré la députée quelques heures plus tôt à l’antenne de France info.

Les propos du président français ont suscité une profonde indignation chez certaines personnalités politiques et médiatiques. « S’ils sont confirmés, sont une faute à la fois historique et politique », a par exemple réagi l’actuel président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Yonathan Arfi. « C’est une déclaration totalement décalée des réalités. De quel droit le président de la République remet-il en cause la légitimité de la création de l’État d’Israël ? De mémoire, il n’était pas là en 1947 ? », s’est indigné Roger Karoutchi, vice-président du Sénat.

« Le lien du Peuple Juif à la terre d’Israël n’a pas eu besoin de l’ONU pour exister, le sionisme est un rêve plusieurs fois millénaires et réduire Israël à une seule décision de l’ONU c’est nier l’histoire du Peuple Juif et son lien légitime et historique à cette terre », a de son côté écrit sur les réseaux sociaux la députée des Français en Israël, Caroline Yadan avant de se dire « scandalisée par tant d’inconséquence, de capitulation et d’absence de hauteur de vue ». A l’antenne de CNews, où il intervient quotidiennement, l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel, ouvertement pro-Netanyahou, a pour sa part considéré que les propos attribués à Emmanuel Macron étaient « une ignominie ».

Dans une interview publiée le 16 octobre par Le Figaro, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a pour sa part dénoncé « une affligeante distorsion de l’histoire ». Grand reporter pour ce journal, Georges Malbrunot a proposé sur le réseau social X une courte analyse du sujet, dans laquelle il explique en quoi les récents propos du président français sont factuels. « [Emmanuel Macron] fait à juste titre référence à la résolution 181 adoptée le 29 novembre 1947, c’est-à-dire six mois seulement avant la création d’Israël, par l’Assemblée générale des Nations unies », écrit-t-il avant de contextualiser la réponse de Benjamin Netanyahou. « Quant à la phrase d’Emmanuel Macron, estimant que Benjamin Netanyahou ne devrait pas « s’affranchir des décisions de l’ONU » , le chef de l’Etat a encore une fois raison quand on sait qu’Israël n’a pas respecté les résolutions 242 et 338 de l’ONU adoptées après la conquête de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-est en 1967 », conclut-il.

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