En reprochant à certains pays d’Afrique d’avoir « oublié de remercier » la France, Emmanuel Macron s’est attiré les foudres de plusieurs dirigeants africains. Mêlant néocolonialisme et condescendance, cette provocation du président de la République complique-t-elle la tâche d’une diplomatie française déjà fragilisée ? Eléments de réponse.
Condescendant, arrogant, méprisant… Emmanuel Macron parvient à faire l’unanimité contre lui en Afrique. Le 6 janvier 2025, il s’est adressé au Corps Diplomatique français. Une fois par an, au moment des vœux, et ce depuis 1993, plus de 200 ambassadeurs de notre pays se réunissent au Quai d’Orsay autour du Président de la République. On y discute des grandes orientations internationales de l’Hexagone pour les mois à venir, des rendez-vous importants, du bilan des 12 mois écoulés… Mais cette année, c’est le continent africain qui y a tenu la vedette. Et pour cause, un événement exceptionnel s’est récemment déroulé : trois chefs d’Etat, le Tchadien Mahamat Idriss Deby Itno, l’Ivoirien Alassane Ouattara et le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye ont annoncé, fin 2024, la même nouvelle à leur peuple respectif : le retrait imminent de l’armée française de leur territoire.
Cette annonce commune, Emmanuel Macron semble l’avoir prise pour un camouflet personnel. Alors, en ce début d’année, il a contre-attaqué façon « leçon de morale » matinée d’une « remontée de bretelles » : « Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence. Comme on est très poli, on leur a laissé la primauté de l’annonce. Mais ce n’est pas parce qu’on est poli, correct, et qu’on se réorganise nous-mêmes, qu’il faudrait que ce soit retourné contre nous en disant « Ils sont chassés d’Afrique » ».
Emmanuel Macron, président de la République française« Je crois qu’on a oublié de nous dire merci. […] L’ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c’est une maladie non transmissible à l’homme »
"Je crois qu'on a oublié de nous dire merci." Les propos tenus par le président de la République, lors de la Conférence des Ambassadrices et Ambassadeurs, font réagir. Emmanuel Macron serait-il nostalgique de la Françafrique ? pic.twitter.com/rgtaL3U0h0
— L'Humanité (@humanite_fr) January 6, 2025
C’est pourtant bien ce qui se passe depuis 2022. Selon un scénario identique, trois pays du Sahel où l’armée française était déployée ont connu un coup d’Etat. Au Mali tout d’abord, au Burkina Faso ensuite, au Niger enfin, les militaires qui se sont emparés du pouvoir ont immédiatement demandé aux troupes françaises de quitter leur sol. Là encore, Emmanuel Macron « l’a mauvaise » et ne s’en cache pas : « Je crois qu’on a oublié de nous dire merci. C’est pas grave, ça viendra avec le temps. L’ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c’est une maladie non transmissible à l’homme… Je le dis pour tous les gouvernements africains qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter, aucun d’entre eux ne serait aujourd’hui avec un pays souverain si l’armée française ne s’était pas déployée dans cette région ».
Interrogé sur la réaction de l’ex-ambassadeur de France au Mali et au Sénégal, Nicolas Normand, qui a qualifié d’« extrêmement maladroite » la récente prise de parole d’Emmanuel Macron (Public Sénat, 7 janvier 2025), le Quai d’Orsay n’a pas souhaité « commenter les commentaires d’anciens collègues qui sont aujourd’hui à la retraite ».
🤔 @EmmanuelMacron «extrêmement arrogant» vis-à-vis de l’Afrique ?
— Off Investigation (@Offinvestigatio) January 16, 2025
💥 La diplomatie 🇫🇷 botte en touche face aux remontrances «d’anciens collègues» visant le président de la République
✒MACRON OU LE SYNDROME DE LA DÉBANDADE AFRICAINE | @jeanmarcpitte⤵
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Aux racines d’un déploiement stratégique
Le déploiement français en Afrique évoqué par Emmanuel Macron face aux ambassadeurs remonte au 11 janvier 2013, sous la présidence de François Hollande. D’abord baptisée Serval puis Barkhane, ces opérations ont pour but d’empêcher l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) de prendre le contrôle de l’ensemble du Mali après avoir occupé le nord du pays. Les militaires resteront présents dans cette zone durant près de 10 ans. Mais contrairement à ce que prétend le chef de l’Etat français, la lutte contre le terrorisme n’était pas la seule motivation à ce très long déploiement. Le sous-sol du Niger contient de l’uranium. Depuis sa découverte, c’est l’ancienne puissance coloniale qui l’exploite via sa compagnie Orano (ex-Areva). L’uranium nigérien contribue à 25% de l’alimentation des centrales nucléaires françaises. Au tout début de l’exploitation, les tarifs négociés avec le jeune Etat indépendant ont été fixés bien en dessous du prix du marché. Résultat : malgré la richesse de son sous-sol, le Niger est resté l’un des pays les plus pauvres du monde. A Niamey, les nouveaux dirigeants ne l’ont pas oublié. Ils ont demandé à la compagnie française Orano de quitter la mine qu’elle exploitait.
Au Mali, quelques mois auparavant, les miliciens de Wagner, rebaptisé aujourd’hui « Africa Corps », étaient venus en nombre prendre la place toute chaude du corps expéditionnaire français : à peine s’était-il retiré à la demande des putschistes qu’un millier de miliciens russes présentés comme des instructeurs militaires s’étaient substitués aux Français. Selon la recette déjà expérimentée en Centrafrique, ils ont exigé de se voir confier l’exploitation de mines comme celle d’Intahaka dont ils extraient de l’or.
Pourtant, Emmanuel Macron n’en démord pas : rien d’autre que le terrorisme ne justifiait le maintien des soldats français : « Parce qu’on était là à la demande d’Etats souverains qui avaient demandé à la France de venir. A partir du moment où il y a eu des coups d’Etat, où les gens ont dit : « Notre priorité, c’est plus la lutte contre le terrorisme », la France n’y avait plus sa place ».
Des propos qui mettent le feu aux poudres
Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a dénoncé la prétention macronienne : « La France n’a ni la capacité, ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté. Bien au contraire, elle a souvent contribué à déstabiliser certains pays africains comme la Lybie (sic) avec des conséquences désastreuses sur la stabilité et la sécurité du Sahel ». L’ancien prisonnier politique a nié la version élyséenne d’un départ décidé comme une solution de gré à gré : « Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain. » Il est à noter que cette brouille intervient dans un climat particulièrement sensible entre la France et le Sénégal, où vient d’être lancé un programme visant à renommer des rues, avenues et boulevards, au noms de figures historiques. « Des dizaines de rues en centre-ville de Dakar qui portent le nom de personnalités historiques françaises sont dans le viseur des autorités sénégalaises », rapportait France 24 le 9 janvier.
Au Sénégal, les rues sont renommées pour "honorer les figures historiques" https://t.co/MwCSvFM2zJ pic.twitter.com/Ozf0mLdcAu
— FRANCE 24 – Vidéos (@F24videos) January 9, 2025
Même réaction critique du gouvernement tchadien dont le communiqué affirme que « Les propos d’Emmanuel Macron reflètent une attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains ».
« Le président Macron devrait concentrer ses efforts sur la résolution des problèmes qui préoccupent le peuple français. »
— 𝐇𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐝'𝐀𝐟𝐫𝐢𝐪𝐮𝐞 ♤ (@Silboyofficiell) January 6, 2025
Communiqué de presse#Tchad pic.twitter.com/FAh4QwrdvT
Quant au chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, il n’hésite pas à taxer Emmanuel Macron de raciste. Rebondissant sur les propos du président français qui, d’une manière assez sibylline, affirmait que « l’ingratitude… est une maladie non transmissible » aux humains, l’officier burkinabé en déduisait, le 13 janvier dernier : « Lui, il est humain. Notre ingratitude n’est pas transmissible à lui. Voilà comment ce Monsieur voit l’Afrique, voit les Africains, nous ne sommes pas des humains à ses yeux. Peut-être que c’est lui qui n’est pas humain. »
« S’il y a bien un ingrat, c’est bien Emmanuel Macron ». Voilà la réaction du capitaine Traoré du Burkina Faso au discours d'E. Macron à la conférence des ambassadeurs le 6 janvier. Le Président français avait alors déclaré : « Je crois qu'on a oublié de nous dire merci. » pic.twitter.com/SXoDWxNiof
— Le journal Afrique TV5MONDE (@JTAtv5monde) January 14, 2025
Cet épisode n’aura pas que des conséquences en termes d’image. Ces dernières années, la France a été chassée de plus de 70% des pays africains où elle avait continué de positionner ses troupes depuis la décolonisation dans les années 60. Désormais, seuls Djibouti et le Gabon accueillent encore leurs bases avec respectivement 1 500 et 350 soldats français.
La cavalier seul macronien a beaucoup contribué à cette situation. Il a préféré ignorer les conseils du cinquième Corps Diplomatique au monde. Aux ambassadeurs dont il boude les avis et les analyses, le président préfère les feuilles de route d’un petit cercle de conseillers élyséens. Les conséquences en Afrique subsahariennes ne sont pas les seules dont la France doit payer le prix : la décision soudaine de reconnaître la domination marocaine sur le Sahara Occidental l’a durablement brouillée avec l’Algérie, allumant une crise dont on ne connaît pas encore l’issue.
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