Mis en cause par la justice dans l'affaire du fonds Marianne, Mohamed Sifaoui était entendu ce 15 juin par une commission d'enquête du Sénat. Son audition a mis en lumière la légèreté de ses croisades contre l'"islamisme" pourtant portées au pinacle par de nombreux médias depuis vingt ans. Le journaliste et éditeur Thomas Deltombe, qui avait démasqué les méthodes de Sifaoui dès 2005, revient pour Off Investigation sur ces deux décennies de complaisance médiatique.
À la faveur de l’affaire du « fonds Marianne », les portraits de Mohamed Sifaoui fleurissent dans les médias français. Mais ces papiers, ravageurs pour la plupart, esquivent généralement les premiers pas de cet "expert" autoproclammé sur la scène médiatique française, au début des années 2000. C’est pourtant à cette époque que se situe l’une des clés du scandale qui éclate aujourd’hui au grand jour. Car la mission que Mohamed Sifaoui s’est vu confier par les services de Marlène Schiappa au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty correspond peu ou prou à la tâche que lui avaient assignée les grands médias audiovisuels français deux décennies plus tôt : combattre un « islamisme » aux contours flous et traquer jusqu’au dernier ses supposés « complices ».
Profiteur de désastres
Les attentats du 11 septembre 2001 apparurent comme une aubaine pour Mohamed Sifaoui, journaliste algérien réfugié en France au terme de la guerre civile qui avait ravagé son pays au cours des années 1990. La sidération mondiale provoquée par l’attaque du World Trade Center et du Pentagone lui permet de vendre aux médias et aux éditeurs hexagonaux une analyse susceptible de lui ouvrir bien des portes : ce que l’Algérie a vécu pendant une décennie, et dont il fut, dit-il, un témoin privilégié, allait désormais s’étendre au monde entier (et à la France en particulier). Tel est le sous-texte de ses interventions télévisées qui se multiplient dans les mois suivant la parution de son premier livre, La France, malade de l’islamisme. Menaces terroristes sur l’Hexagone (2002).
Exploitant à fond son expérience de la "sale guerre" algérienne des années 1990, au cours de laquelle il avait développé depuis Alger, puis, Paris, un intense lobbying, (voir encadré), Mohamed Sifaoui signe son premier coup d’éclat, sur France 2, en janvier 2003. Il y diffuse une « enquête » dans laquelle il affirme avoir filmé de l’intérieur, en caméra cachée, une « cellule d’Al-Qaïda » en plein Paris. Diffusée dans l’émission Complément d’enquête et déclinée dans un livre intitulé Mes “frères” assassins : comment j’ai infiltré une cellule d’Al-Qaïda, ce « reportage » à sensation suscite l’admiration de bien des commentateurs. « Un coup de génie ! » s’extasie par exemple Thierry Ardisson, qui invite immédiatement le téméraire journaliste dans Tout le monde en parle (France 2).