Jean-Baptiste Rivoire

Dans les années 2000, alors qu’il rêvait déjà secrètement d’accéder à l’Elysée, Nicolas Sarkozy se montrait particulièrement interventionniste avec les médias. Interruption d’un journal de France Inter en direct, humiliation de Laurent Joffrin à l’Elysée, toute la hargne – et le maladif besoin de plaire – de Nicolas Sarkozy était déja là… (Extrait de « L’Élysée (et les oligarques) contre l’info », Les liens qui libèrent, 2022)
La scène avait marqué les esprits. Le 13 octobre 2004, arrivé en avance à France Inter, Nicolas Sarkozy patiente dans le salon face au studio de l’information. Alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, il doit être interrogé par Stéphane Paoli à 7 h 50. Tout va bien jusqu’à la diffusion dans le journal de 7 h 30 d’une courte interview de Raymond Avrillier, un élu écologiste de Grenoble connu pour avoir contribué à la chute d’Alain Carignon, maire de la ville et ministre du gouvernement Balladur, condamné en 1996 pour corruption.
Après avoir évoqué la proximité entre Alain Carignon et Nicolas Sarkozy et révélé que depuis la place Beauvau, ce dernier avait promu un fonctionnaire condamné pour son implication dans les affaires grenobloises, Avrillier conclut au micro de France Inter : « Il y a une assez grande similitude, vue de Grenoble, entre le fonctionnement de M. Sarkozy, ses grandes déclarations, sa communication et ce que faisait M. Carignon. Il y a une certaine amitié politique, mais en même temps, une pratique politique qui est assez similaire. »
» Je suis très choqué de ce que je viens d’entendre «
Nicolas Sarkozy interrompant un journal de France Inter en plein direct en 2004
Entendant ces mots, Nicolas Sarkozy sort de ses gonds et pénètre dans le studio. En plein direct, il coupe la présentatrice, Bernadette Chamonaz, et s’empare du micro en bégayant : « Je peux vous dire que je suis très choqué de ce que je viens d’entendre. […] Alain Carignon a été condamné.[…] Je l’ai pas laissé tomber, mais je n’ai rien à vous… Et […] Et humainement, chacun des auditeurs peut le comprendre… Mais je n’ai absolument rien à voir avec ces affaires, c’est proprement invraisemblable. »
Journaliste respecté de France Inter, l’auteur de l’interview d’Avrillier, Benoît Collombat, n’en croit pas ses oreilles. Dans la bouche du ministre, son reportage devient « inadmissible », « malhonnête », « empreint de choses fausses ». Cette anecdote est représentative de ce que fera ensuite Nicolas Sarkozy une fois devenu président de la République : l’indépendance éditoriale n’est pas à son goût.
» N’avez vous pas instauré une forme de monarchie élective ? «
Question de Laurent Joffrin à Nicolas Sarkozy en janvier 2008
Preuve en est son altercation avec Libération au tout début de son quinquennat. En janvier 2008, devant une cinquantaine de confrères et le gouvernement de François Fillon au complet qui écoute religieusement le chef de l’État, Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction de Libération, interpelle le président de la République lors d’une conférence de presse : « Vous occupez de manière fréquente, sinon continue, la scène médiatique, vous êtes à l’origine de la plupart, sinon la totalité des initiatives gouvernementales, vous avez qualifié votre Premier ministre de “collaborateur”. […] Vous êtes le chef d’État du monde démocratique qui détient le plus de pouvoirs. Au fond, n’avez-vous pas instauré une forme de pouvoir personnel, pour ne pas dire de monarchie élective ? »
Ulcéré par cette critique, Nicolas Sarkozy entreprend alors de discréditer le directeur de Libération. Dans la salle, comme s’ils avaient intériorisé leur dépendance à l’égard du pouvoir, ses confrères poufferont à la réponse du président qui rappelle que la monarchie est « héréditaire » alors que lui assume de « prendre ses responsabilités », car les Français l’ont « élu » et que « c’est cela, la démocratie ».
Mais ce concept semble vu de façon peu conventionnelle par le président. Quelques mois auparavant, après une une de Libération lui ayant déplu, il aurait menacé le banquier Édouard de Rothschild, qui avait raflé le quotidien au nez et à la barbe de Vincent Bolloré en 2005 de lui couper les aides ! »
La semaine prochaine : Domestiquer l’Agence France Presse