
Tribune. Les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont tué près de 200 journalistes palestiniens en 18 mois. Une hécatombe jamais vue dans l’histoire de ce métier, dénoncée par un collectif d’organisations journalistes françaises, qui appellent la profession à se rassembler à Paris, mercredi 16 avril.
Ce n’est pas courant pour un journaliste d’écrire son testament à l’âge de 23 ans. C’est pourtant ce qu’a fait Hossam Shabat, correspondant de la chaîne qatarie Al-Jazeera Mubasher dans la bande de Gaza. Le jeune homme, conscient que les bombardements israéliens sur le Territoire palestinien ont drastiquement réduit l’espérance de vie des membres de sa profession, a composé un court texte, à publier s’il devait lui arriver malheur.
Ces mots ont finalement été postés sur les réseaux sociaux lundi 24 mars. « Si vous lisez ceci, cela signifie que j’ai été tué», commence le message dans lequel le reporter d’Al-Jazeera évoque ses nuits à dormir sur le trottoir, la faim qui n’a jamais cessé de le tenailler et son combat pour «documenter les horreurs minute par minute ». « Je vais enfin pouvoir me reposer, quelque chose que je n’ai pas pu faire durant les dix-huit mois passés », conclut le reporter palestinien, tué par un tir de drone israélien sur la voiture dans laquelle il circulait, à Beit Lahia, dans le nord de Gaza. Un véhicule qui portait le sigle TV et le logo d’Al-Jazeera.
Des confrères et consœurs délibérément visés par l’armée israélienne
En un an et demi de guerre dans l’enclave côtière, les opérations israéliennes ont causé la mort de près de 200 professionnels des médias palestiniens, selon les organisations internationales de défense des journalistes telles Reporters sans frontières (RSF), le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ), en lien avec le Palestinian Journalists Syndicate (PJS). Dans l’histoire de notre profession, tous conflits confondus, c’est une hécatombe d’une magnitude jamais vue, comme le démontre une récente étude de l’université américaine Brown.
🗯️ «TOUS les médecins, TOUS les journalistes, TOUS les humanitaires qui vivent à Gaza sont des agents du Hamas, TOUS !»
— Off Investigation (@Offinvestigatio) December 30, 2024
Propos tenus par le directeur du lobby pro 🇮🇱 @ElnetFr dont @Mediapart vient de révéler l’influence au Parlement 🇫🇷
En accès libre⤵️
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Au moins une quarantaine de ces journalistes, à l’instar de Hossam Shabat, ont été tués stylo, micro ou caméra à la main. C’est le cas de Ahmed al-Louh, 39 ans, caméraman de la chaîne Al-Jazeera, qui a péri dans une frappe aérienne, alors qu’il tournait un reportage dans le camp de réfugiés de Nusseirat, le 15 décembre 2024. Et de Ibrahim Mouhareb, 26 ans, collaborateur du journal Al-Hadath, tué par le tir d’un char, le 18 août 2024, alors qu’il couvrait le retrait de l’armée israélienne d’un quartier de Khan Younès. Des cas soigneusement documentés par les organisations précitées.
Tous ces confrères et consœurs portaient un casque et un gilet pare-balles, floqué du sigle PRESS, les identifiant clairement comme des professionnels des médias. Certains avaient reçu des menaces téléphoniques de responsables militaires israéliens ou bien avaient été désignés comme des membres de groupes armés gazaouis par le porte-parole de l’armée, sans que celui-ci ne fournisse de preuves crédibles à l’appui de ces accusations. Autant d’éléments qui incitent à penser qu’ils ont été délibérément visés par l’armée israélienne.
Des familles décimées
D’autres de nos collègues de Gaza sont morts dans le bombardement de leur domicile ou de la tente où ils s’étaient réfugiés avec leurs familles, comme des dizaines de milliers d’autres Palestiniens. C’est le cas de Wafa al-Udaini, fondatrice du collectif de journalistes 16-Octobre, tuée dans une frappe sur la ville de Deir al-Balah, le 30 septembre 2024, avec son mari et leurs deux enfants. Et de Ahmed Fatima, une figure de la Maison de la presse de Gaza, une ONG soutenue par des bailleurs européens, qui formait une nouvelle génération de journalistes.
🗯️ « Le véritable objectif est d’implanter une stratégie de terreur pour faire fuir l’intégralité de la population du nord de #Gaza »
— Off Investigation (@Offinvestigatio) January 3, 2025
🗣️ L'ancien président de MSF, Rony Brauman, dénonce le dernier assaut israélien sur l’hôpital Kamal Adwan⤵️https://t.co/LlwNE3oT4g
Le 13 novembre 2023, un missile a frappé l’étage de l’immeuble où il résidait avec son épouse et leur fils de 6 ans, à Gaza-ville. Les parents ont réchappé à l’explosion, mais l’enfant a été blessé au visage. Ahmed Fatima l’a pris dans ses bras et s’est précipité dans la rue pour l’amener à l’hôpital. A peine avait-il parcouru cinquante mètres qu’un second missile s’abattait à proximité de lui et le tuait. Six jours plus tard, le 19 novembre, le fondateur et directeur de la Maison de la presse, Bilal Jadallah, mourrait à son tour dans le tir d’un char israélien sur son véhicule.
D’autres ont survécu, mais dans quelles conditions ? Le journaliste reporter d’images Fadi al-Wahidi, 25 ans, est paraplégique depuis qu’une balle lui a sectionné la moelle épinière, le 9 octobre 2024, alors qu’il filmait un énième déplacement forcé de civils, comme l’a rapporté le média d’investigation Forbidden Stories. Wael al-Dahdouh, célèbre correspondant d’Al-Jazeera à Gaza, a quant à lui appris la mort de sa femme et de deux de ses enfants dans un bombardement, en plein direct, le 25 octobre 2023. Pour les journalistes palestiniens, « couvrir » la mort d’un collègue ou d’un proche fait désormais partie d’une macabre routine.
Journalistes à Gaza : un courage inouï
Nous déplorons également la mort des quatre journalistes israéliens qui ont péri dans l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, ainsi que celle de neuf confrères libanais et d’une consœur syrienne lors de frappes israéliennes. Mais l’urgence est aujourd’hui à Gaza. Pour tous les défenseurs des droits humains, un constat s’impose : l’armée israélienne cherche à y imposer un black-out médiatique, à réduire au silence, autant que possible, les témoins des crimes de guerre commis par ses troupes, au moment où un nombre croissant d’ONG internationales et d’instances onusiennes les qualifient d’actes génocidaires. Cette volonté de faire obstacle à l’information se traduit également par le refus du gouvernement israélien de laisser la presse étrangère pénétrer dans la bande de Gaza.
N’oublions pas la situation en Cisjordanie occupée, où l’on commémorera, dans quelques jours, les trois ans de la mort de Shireen Abu Akleh. La correspondante vedette d’Al-Jazeera a été abattue à Jénine, le 11 mai 2022, par un soldat israélien qui n’a eu aucun compte à rendre pour son crime. L’agression par des colons, le 24 mars dernier, de Hamdan Ballal, coréalisateur du documentaire oscarisé No Other Land, qui a été ensuite arrêté par des soldats dans l’ambulance qui l’emmenait se faire soigner, témoigne de la violence à laquelle s’exposent ceux qui tentent de raconter la réalité de l’occupation israélienne. Elle révèle aussi l’impunité offerte quasi systématiquement à ceux qui cherchent à les faire taire.
📚 GAZA, CHRONIQUE D’UNE FAILLITE MÉDIATIQUE
— Off Investigation (@Offinvestigatio) March 17, 2025
🗣️ Après avoir interpellé sans relâche l’@Elysee et @francediplo pendant des mois, la journaliste indépendante @Meriem_Laribi livre un témoignage sensible et indigné d’une année d’horreurs à #Gaza⤵️https://t.co/ZSAmRCVoUL
En tant que journalistes, viscéralement attachés à la liberté d’informer, il est de notre devoir de dénoncer cette politique, de manifester notre solidarité avec nos collègues palestiniens et de réclamer, encore et toujours, le droit d’entrer dans Gaza. Si nous demandons cela, ce n’est pas parce que nous estimons que la couverture de Gaza est incomplète en l’absence de journalistes occidentaux. C’est pour relayer et protéger, par notre présence, nos confrères et consœurs palestiniens qui font preuve d’un courage inouï, en nous faisant parvenir les images et les témoignages de la tragédie incommensurable actuellement en cours à Gaza.
Un large collectif composé des principaux syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT et CFDTJournalistes), de Reporters sans frontières, du Prix Albert-Londres, de la Fédération internationale des journalistes, de la Fédération européenne des journalistes, du collectif Reporters solidaires et de la commission journalistes de la Scam vous invite donc à vous rassembler, le mercredi 16 avril, à 18 heures, devant les escaliers de l’Opéra Bastille, à Paris, et sur le Vieux-Port, à Marseille, autour des mots d’ordre suivants : «Gaza, Stop au massacre des journalistes palestiniens» ; «Halte à l’impunité des auteurs de ces crimes» ; «Ouverture immédiate de ce territoire à la presse internationale».