
Mercredi 5 mars, Jean-Michel Aphatie n’était pas présent sur les ondes de RTL, contrevenant à la programmation habituelle. Et pour cause, il a été temporairement mis en retrait de l’antenne après avoir comparé, le 25 février sur la radio du groupe M6, des exactions françaises en Algérie au massacre d’Oradour-sur-Glane.
Pour éteindre l’incendie déclenché par les propos de Jean-Michel Aphatie au cours d’une discussion sur les relations franco-algériennes (25 février à l’antenne de RTL), le présentateur Thomas Sotto a confirmé ce mercredi 5 mars la décision de la direction de RTL de « mettre en retrait » son chroniqueur pour l’émission du jour. « Ce matin, Jean-Michel n’est pas là », a-t-il expliqué aux auditeurs de RTL Matin. « Jean-Michel a effectué un parallèle entre certains actes commis pendant la colonisation de l’Algérie et des crimes nazis. Une comparaison que la direction considère inappropriée et qui a choqué beaucoup, beaucoup d’entre vous. » Et la présentatrice Amandine Bégot de poursuivre : « Jean-Michel ne souhaitant ni s’excuser, ni revenir sur ses propos, ce qui est son droit, la direction de RTL lui a donc demandé de se tenir, ce matin, en retrait de l’antenne. Voilà qui est dit ».
De son côté, l’éditorialiste mis en retrait s’est exprimé sur les réseaux sociaux à propos de sa suspension professionnelle. « La liberté d’expression, beaucoup portée en écharpe ces derniers temps, s’apparente aussi à une vaste rigolade », a-t-il notamment écrit dans sa publication sur X.
Bonjour à tous.
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) March 6, 2025
J’ai été très critiqué ces derniers jours, et aussi très soutenu, par d’innombrables personnes, diverses et informées de la réalité historique. Je remercie ici celles et ceux qui m’ont adressé des messages de sympathie et de compréhension. Les autres, je ne les… pic.twitter.com/qwfaIMfike
Une semaine plus tôt, il suscitait l’indignation du plateau de la radio RTL en considérant que si les relations entre Français et Algériens étaient tendues, c’était « parce qu’on les a massacrés, parce qu’on l’a jamais reconnu ». Et l’éditorialiste de souligner que les relations seraient possiblement différentes « si la France présentait des excuses pour 130 ans de massacres, de meurtres, de paupérisation d’un peuple, d’une violence incroyable… 130 ans d’occupation », tout en qualifiant dans le même temps l’Algérie de « régime dictatorial ».
Colonialisme et nazisme, la comparaison polémique
Mais c’est un peu plus tard que son intervention prend un tournant réellement polémique sur le plateau. Jean-Michel Aphatie ajoute ainsi : « Mais ce que nous avons fait nous en Algérie… Vous savez chaque année en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village » – faisant référence au massacre des habitants de cette commune de la Haute-Vienne par une division de Waffen-SS, en 1944. Avant de poursuivre son développement : « Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? »
Thomas Sotto, chargé d’animer le débat, s’écrie : « Jean-Michel, on n’a pas fait Ouradour-sur-Glane en Algérie ! On s’est comportés comme des nazis en Algérie ? » Ce dernier signe et persiste : « Combien de villages ont été massacrés ? Combien de femmes, combien d’enfants ? Les nazis n’existaient pas. On ne s’est pas comportés comme des nazis. Les nazis se sont comportés comme nous, nous l’avons fait en Algérie. » Les réactions se succèdent. Florence Portelli, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France invitée par RTL Matin, s’offusque également de ces propos, qu’elle qualifie d’« insulte au peuple français ».
Dans un article de Arrêt sur images paru le 5 mars, Jean-Michel Aphatie déclare ne pas être « meurtri, ni choqué » par sa mise en retrait : « Tout ce passage a suscité beaucoup de réactions, d’émotions, de désaccords. Ça n’était pas voulu, mais c’est devenu un moment d’antenne particulier. RTL, qui est diffuseur, doit gérer ça, et je trouve qu’ils l’ont géré avec beaucoup de compréhension et d’intelligence. » Avant de préciser que la radio ne l’a « pas mis à la porte » ; son retour est normalement prévu pour le mercredi 12 mars.
Un sujet historique largement documenté
En septembre 2022, Off Investigation publiait deux articles autour de la conquête de l’Algérie, dans le contexte d’une petite phrase prononcée le 26 août de la même année par Emmanuel Macron, selon qui la France et l’Algérie formaient « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » : « Il faut pouvoir se fâcher pour pouvoir se réconcilier ».
💣 🇩🇿"Furax", l'Elysée pousse @lemondefr à censurer une tribune critiquant la politique mémorielle de @EmmanuelMacron sur l'Algérie. La revoici, avec en prime une plongée documentée dans les crimes de la conquête de 1830.
— Off Investigation (@Offinvestigatio) September 2, 2022
👉 https://t.co/WAP9WiwYZj https://t.co/p59utKVVbX
Le caractère criminel de la conquête française de l’Algérie est globalement retenu par les historiens. Le 14 juin 1830, l’armée française entame l’invasion de la régence d’Alger, sur ordre du roi de France, Charles X. Dès le début, la campagne militaire s’accompagne de « violences, accaparement des terres, enfumades, pratiques de la guerre brûlée, système colonial, indigénat, ratonnades, racisme, antisémitisme, attentats, tortures, camps, viols, bombardements, assassinats, embuscades, disparitions »… (A. Bouchene, JP. Peyroulou, O. Siari Tengour, S. Thénault, Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-1962), la Découverte, Paris, 2014).
🇩🇿 🇫🇷 Une "histoire d'amour qui a sa part de tragique", l'histoire Franco-Algérienne?
— Off Investigation (@Offinvestigatio) September 2, 2022
👉"On marchait sur du sang", racontent les témoins de la conquête de 1830…https://t.co/ezFm8gxv8j
De nos jours, le sujet demeure une thématique explosive qui, de temps à autres, refait surface sur la scène médiatique. En l’occurrence, ce sont surtout les « enfumades » auxquelles a fait référence Jean-Michel Aphatie au micro de RTL Matin. Il tentait de détailler son propos comme ceci : « Nous, ce que nous ce que nous avons fait, c’est que les villageois algériens se réfugiaient dans des grottes. On a muré les grottes. On a mis du bois dans les grottes. On a allumé du feu et on les a asphyxiés ».
En 2004, le journaliste algérien Lounis Aggoun avait documenté dans un ouvrage publié par les éditions La Découverte la violence de la conquête de l’Algérie, cité par Off Investigation en septembre 2022. Les « enfumades de Bugeaud » y sont notamment documentées par des sources d’époque : « Le général Bugeaud préconise d’agir sans ménagement avec les fuyards, hommes, femmes, enfants et troupeaux, qui se réfugient dans les cavernes : « Enfumez-les comme des renards ! » Le colonel Pélissier s’exécute. « À bout de patience », face au « fanatisme sauvage de ces malheureux » qui exigent, pour sortir, que l’armée française s’éloigne, il fait mettre le feu à l’entrée des cavernes. Le matin, tout est consommé. 500 victimes, dit le rapport officiel. Aux environs de mille, témoignera un officier espagnol présent ».
Le général de Saint-Arnaud a également raconté sa propre « enfumade des Sbéahs », désignant par là la tribu des Bani Sebih : « Je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. […] Personne que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français ». En 1849, l’armée française aura tué près de 700 000 « indigènes », le quart de la population totale, alors estimée à trois millions d’habitants.
Vers un retour rapide sur RTL
Cela étant dit, les historiens restent prudents sur la comparaison avec le nazisme. Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire de l’Algérie interrogé par CheckNews le 26 février, appelle à se « méfier des anachronismes ». Selon lui, il n’y avait pas de « grand projet d’extermination prémédité » en Algérie par la France : « La guerre coloniale relève plutôt du chaos, avec des seigneurs de guerre qui ont droit de vie ou de mort sur les populations. Si on doit faire un parallèle historique, je le ferais plutôt avec la conquête de l’Ouest américaine ». Il tient cependant à souligner un « immense mérite » de Jean-Michel Aphatie pour mettre le sujet sur la table.
Les propos de Jean-Michel Aphatie auront suscité plusieurs signalements auprès de l’Arcom, le régulateur des médias. Ce dernier a ouvert une instruction pour déterminer si la radio avait manqué à ses obligations. Jean-Michel Aphatie devrait donc malgré tout être de retour la semaine prochaine, pour présenter sa chronique comme il en a l’habitude.
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