Arnaud Murati
Prix décorrélés de toute réalité de coût, hausses intempestives et répétitives, chantage permanent auprès des politiques… Les constructeurs automobiles français utilisent tous les moyens pour préserver les millions d’euros que leur rapportent les pièces captives, pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires.
Tous ont accepté de parler. Mais « off the record». Car si la lenteur du démantèlement progressif du système des « pièces captives » agace l’ensemble du microcosme automobile en France, le pouvoir de nuisance des constructeurs, qui sont aussi les organisateurs de ce monopole, est bien réel : « Tout le monde sait pour les pièces captives, confie une source habituée aux dorures des ministères. Il aura fallu cinq lois et six débats parlementaires pour que l’on y arrive, ou presque. Les ministres protègent les constructeurs. Ce sujet, c’est vraiment le pouvoir d’achat contre la protection de nos intérêts industriels. »
+ 21% en un an sur les rétroviseurs sophistiqués
Mais qu’est-ce que tout le monde sait ? « Tout ce que l’on est obligé de prendre chez les constructeurs, de simples morceaux de plastique, ce sont des tarifs complètement fous » explique Pascal Brethomé, carrossier-réparateur et président régional du syndicat professionnel Mobilians.
Les constructeurs français profiteraient-ils de leur monopole sur les pièces de carrosserie pour prendre en otage les portefeuilles des automobilistes ? C’est également l’analyse de Cyrille Chartier-Kastler, dirigeant de Facts & Figures, un cabinet de conseils qui travaille essentiellement pour le monde de l’assurance. Il a étudié de près l’évolution du coût des rétroviseurs. Rien qu’entre2021 et 2022, le prix moyen d’un rétroviseur d’une berline compacte (de type Peugeot 308, Renault Mégane…) a ainsi progressé de 12% (de 352€ à 393€). Pour les véhicules « SUV compacts », la hausse sur un an atteint 11%, avec un prix moyen observé qui est passé de 472€ à 525€. Et plus le véhicule est sophistiqué, plus la progression des tarifs de ses pièces détachées est importante. Toujours entre 2021 et 2022, le prix des rétroviseurs purement mécaniques a crû de 3% ; mais pour ceux dotés d’un système de rabattage électrique, d’un détecteur d’angle mort et d’autres merveilles de technologie, la hausse est de 21% !
+ 44% en un an pour les phares
L’organisme Sécurité Réparation Automobile (SRA), qui suit depuis des années le coûts des réparation pour le compte des assureurs, entre dans les détails : entre 2016 et 2021, le coût du « panier SRA », soit de l’ensemble des pièces nécessaires à la réparation d’un véhicule qui a subi un choc type (toujours le même), a progressé de 29,5%. Depuis le début de l’année 2022, c’est carrément l’explosion : + 10,6%. Le prix des pièces détachées s’envole littéralement ! « Bandeaux, baguettes chromées ou encore optiques de phares progressent énormément, s’alarme Rodolphe Pouvreau, le directeur général de SRA. Entre 2017 et 2021, le prix des phares a augmenté de 46% dans les expertises. Et rien qu’entre 2021 et 2022, nous n’en sommes pas loin : + 44% »
« Nous, on ne fait pas 3000% de marge sur les optiques… »
Michel forissier, directeur de l'ingéniérie de Valéo, critiquant implicitement les constructeurs
Certes, la technologie des phares s’est sophistiquée récemment (passage des ampoules traditionnelles au xénon, puis aux ampoules à leds). Cela peut expliquer une partie du renchérissement de ces éléments. Mais selon une étude publiée par la Commission européenne en 2021, cette évolution technologique des phares n’aurait dû faire progresser le prix des optiques que « de 5 à 10% », en théorie.
Y’aurait-il sur-gonflement des prix sous prétexte d’un changement technologique ? Michel Forissier, directeur de l’ingénierie de Valeo, n’a pu s’empêcher de lâcher une terrible phrase lors d’un récent colloque automobile : « Nous, on ne fait pas 3000% de marge sur les optiques… » Les observations de Facts & Figures sur l’emballement des tarifs des rétroviseurs les plus récents se confirment.