Quand l’armée israélienne félicite BFMTV

Saadé dans les pas de Drahi ?

Que ce soit pour défendre la stratégie militaire de l’armée israélienne ou, au contraire, dénoncer une attaque venue du Liban ou d’Iran, il est très actif à la télévision française. Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée d’Israël, est un interlocuteur particulièrement prisé de BFMTV pour commenter au jour le jour la situation au Moyen-Orient. Ce communicant en uniforme a récemment tenu a saluer le travail de la chaîne d’information en continu…

La veille au soir des commémorations du 7 octobre 2023, BFMTV a diffusé une émission spéciale en direct de Tel-Aviv, présentée par Benjamin Duhamel. Au programme : le récapitulatif par la chaîne d’information en continu d’« un an de guerre au Proche-Orient », avec comme invité d’honneur, l’indéboulonnable Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne et habitué des plateaux de la télévision française.

Au cours de leur échange, le présentateur de BFMTV et le porte-parole en uniforme abordent notamment l’invasion israélienne du Liban. « Il n’y a pas eu d’émotion dans le monde durant ces 11 derniers mois sur les réfugiés israéliens, sur les morts israéliens », s’est alors ému Olivier Rafowicz, devant un Benjamin Duhamel qui, visiblement gêné, poursuit de son côté : « [des morts israéliens] qu’on aborde beaucoup à l’antenne, quand même. » Et là, survient la séquence courte mais cruciale qui a rapidement provoqué un torrent de réactions sur les réseaux sociaux : « Je ne parle pas de ce que vous rapportez, vous, en tant que chaîne, et je dis que votre chaîne fait du travail excellent par rapport à la présentation du conflit, des deux côtés. Mais je parle de l’émotion générale, des Nations unies… »

Olivier Rafowicz, porte-parole de l'armée israélienne: "Le Liban a laissé faire le Hezbollah" pic.twitter.com/yhO1UqdPdA

— BFMTV (@BFMTV) October 6, 2024

Un cadeau empoisonné ?

Ce gage donné par le porte-parole de l’armée israélienne à BFMTV a tout d’un baiser de la mort. Comment se voir ainsi félicité par le porte-parole d’une armée dont l’offensive en cours à Gaza a tué plus de 41 600 personnes, parmi lesquelles un grand nombre de femmes et d’enfants (UNOCHA, 7 octobre 2024) et dont le dernier bilan de l’invasion du Liban fait état d’au moins 1 600 morts (ONU, 3 octobre 2024) ?

Selon les propres mots du porte-parole de l’armée israélienne, « l’excellente présentation du conflit » par BFMTV serait donc de meilleure qualité que son suivi par l’ONU qui, cette semaine encore, a appelé de ses vœux à « l’arrêt de l’effusion de sang » au Moyen-Orient. Fait notable, comme l’a récemment relevé Arrêt sur images, les journalistes de la chaîne d’information en continu s’adressent régulièrement à leur invité en l’appelant « Mon colonel ». Dans son article qui pointe l’omniprésence d’Olivier Rafowicz à la télévision française, le média en ligne a notamment comptabilisé pas moins de quatre interventions du porte-parole de l’armée israélienne à l’antenne de BFMTV en 24 heures, sur la seule journée du 1^er octobre.

4 interviews sur BFM en moins de 24h : Olivier Rafowicz, porte-parole de l'armée israélienne, est devenu au fil des années l'interlocuteur privilégié des chaines d'info. Une omniprésence qui interroge et sur laquelle s'est penchée @alizeevncnt. https://t.co/sPTdvyXt0C

— Arrêt sur images (@arretsurimages) October 3, 2024

Parmi les multiples réactions qu’il a provoquées sur les réseaux sociaux, l’épisode a notamment été commenté par l’eurodéputée Rima Hassan qui, invitée le 8 octobre à l’antenne de BFMTV, a voulu s’exprimer sur l’affaire avant de répondre aux questions des journalistes de la chaîne.

Quand vous avez une partie au conflit qui vous félicite… C’est comme si vous aviez le Hamas demain qui vous félicitait, c’est très problématique, admettez-le

Rima Hassan, LFI, députée européenne

« Je veux dénoncer le fait que vous avez été félicités par Olivier Rafowicz qui est un porte-parole de l’armée israélienne […]. J’espère que vous vous rendez compte que vous aurez tôt ou tard des comptes à rendre en tant que média », a notamment déclaré la députée européenne, s’attirant alors les foudres de ses interlocuteurs. « C’est inadmissible […]. Rendre des comptes devant qui ? Devant vous ? », lui ont-ils entre autres rétorqué, dans un échange pour le moins confus, au cours duquel les deux journalistes de BFMTV ont reproché à leur invitée de « mettre en cause le travail d’une rédaction ».

« Quand vous avez une partie au conflit qui vous félicite… C’est comme si vous aviez le Hamas demain qui vous félicitait, c’est très problématique, admettez-le », a de son côté poursuivi Rima Hassan. « L’interview s’arrête, au revoir », ont finalement conclu les deux journalistes sur le plateau.

🗯️«Je veux dénoncer le fait que vous avez été félicités par le porte-parole de l’armée israélienne»

👉Crispation sur le plateau de @BFMTV quand @RimaHas estime que la chaîne aura un jour «des comptes à rendre en tant que média»

🔎https://t.co/VGCNA787agpic.twitter.com/7If3Y4shuL

— Off Investigation (@Offinvestigatio) October 8, 2024

[La séquence vidéo ci-dessus ainsi que les réactions qu’elle a suscitées (ci-dessous) ont été intégrées à l’article après sa publication]

Largement partagés sur les réseaux sociaux, les propos tenus par Rima Hassan à l’antenne de BFMTV ont à leur tour été abondamment critiqués, en premier lieu par la société des journalistes (SDJ) de la chaîne de télévision qui a tenu à rappeler que la chaîne « a de nombreux envoyés spéciaux ou correspondants dans la région, au Liban, en Cisjordanie, en Israël ou en Iran, qui font entendre la voix de toutes les parties, civiles ou militaires ».
Dans son communiqué, la SDJ dit regretter que « la phrase de félicitations d’Olivier Rafiwicz adressée à BFMTV a[it] été sortie de son contexte et instrumentalisée pour prendre à partie BFMTV et le travail de sa rédaction ».

Communiqué de la SDJ de BFMTV pic.twitter.com/C4BXRbu92O

— SDJ BFMTV (@sdjbfmtv) October 8, 2024

Le texte de la SDJ ne revient en revanche pas davantage sur l’échange entre Olivier Rafowicz et Benjamin Duhamel qui, sur le moment, n’a pas cherché à prendre du recul sur les félicitations de son interlocuteur, bien que celui-ci soit le porte-parole d’une armée partie prenante au conflit.

Une continuité Drahi-Saadé ?

BFMTV a connu une révolution interne cette année, en passant aux mains du milliardaire Rodolphe Saadé (Le Monde, 2 juillet 2024), au terme d’une opération de rachat ayant duré à peine trois mois. La chaîne était auparavant détenue par l’entrepreneur franco-israélien Patrick Drahi, qualifié de « mécène de l’armée israélienne » dans une enquête de Blast.

Fin 2023, la chaîne de Patrick Drahi avait nourri une campagne de propagande mensongère contre Dominique de Villepin, qu’elle avait accusé d’antisémitisme en raison de certaines de ses déclarations sur le conflit israélo-palestinien. Afin de clouer au pilori l’ancien Premier ministre, BFMTV n’avait pas hésité à lui prêter des propos hostiles à la « finance juive », qu’il n’avait en réalité jamais tenus, comme nous le relayions à l’époque.

Ce rachat par Rodolphe Saadé – le patron de CMA CGM cherche depuis plusieurs années à asseoir son influence grâce à la presse (La Lettre) – a-t-il impacté la ligne éditoriale de la chaîne, longtemps pointée du doigt comme très conciliante avec l’agenda israélien dans le cadre du conflit au Moyen-Orient ? La question se pose, à en juger entre autres par les multiples interventions d’Olivier Rafowicz sur BFMTV, où il est régulièrement accueilli. Notons ici que la SDJ de la chaîne souligne dans son dernier communiqué que « la proportionnalité de la riposte de Tsahal [sur Gaza] » est questionnée dans un de ses récents documentaires long format « témoignant des dégâts terribles infligés à Gaza par les bombardements israéliens ».

Au cours des 12 derniers mois, les relations entre le porte-parole de l’armée israélienne et les médias français ont été marquées par certains épisodes problématiques pour la profession. Dans le cadre de ses nombreuses interventions télévisées, on se souvient particulièrement d’une séquence lors de laquelle Olivier Rafowicz avait été confronté, sur TV5 Monde, à certains de ses éléments de langage, par le journaliste français Mohamed Kaci, qui fut alors publiquement recadré par son employeur pour un présumé manquement aux « règles journalistiques ».

Rappelons que, par sa fonction de porte-parole de l’armée israélienne, le rôle de Rafowicz est d’entretenir et de polir l’image de ses troupes.