Quand Bolloré veut imposer l’omerta sur ses affaires en Afrique

Vincent Bolloré à Paris en avril 2018.  | (Image : ERIC PIERMONT / AFP)

Furieux que le député LFI Louis Boyard ait critiqué Vincent Bolloré sur son plateau en 2022, Cyril Hanouna est jugé ce 17 décembre pour injure publique. Cet épisode renvoie aux efforts déployés par l’industriel breton pour faire taire ceux qui s’intéressent à ses affaires en Afrique.

Le procès pour injures publiques de Cyril Hanouna, présentateur vedette de C8 – propriété de Vincent Bolloré – s’est ouvert le 17 décembre au Tribunal correctionnel de Paris. En 2022, l’animateur de TPMP s’était emporté en plateau contre le député LFI Louis Boyard au moment où celui-ci venait de dénoncer certaines conséquences des activités du milliardaire breton en Afrique. Cet épisode rappelle l’omerta que Vincent Bolloré entend imposer sur des affaires en Afrique.

La méthode Hanouna

Le jeudi 10 novembre 2022, alors qu’est évoqué sur le plateau de TPMP (C8) le sort d’un navire humanitaire bloqué avec plus de 230 migrants à bord, Louis Boyard tente d’élargir la discussion en pointant la responsabilité des personnes « les plus riches qui appauvrissent la France et l’Afrique ». Il évoque alors le nom du multimilliardaire Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne sur laquelle il s’exprime. Malaise sur le plateau.

Encouragé par ses chroniqueurs et les harangueurs du public, Cyril Hanouna perd ses nerfs face au député LFI. Il lui reproche de vouloir « faire un coup d’éclat » : « Tu viens ici, tu fais le malin, t’es une merde ! » Critiquer l’homme d’affaires breton sur l’une de ses antennes ? Inadmissible selon le présentateur : « Je ne crache pas dans la main qui me nourrit », s’énerve-t-il.

« Tu te rends compte de l’embrouille que t’es en train de faire parce que je suis en train de dire que Bolloré a participé à la déforestation au Cameroun ? », tente Louis Boyard. Mais la suite est noyée dans un flot d’insultes hanounesques… « Je m’en bats les couilles que tu sois élu » ; « Tu crois que j’ai peur de toi ou quoi ? » ; « Abruti, tocard, bouffon »…

Des enquêtes étouffées par Canal +

Alors que ce déversement de haine permet à Cyril Hanouna de couper court sur le moment à l’argumentaire de son invité, la scène renvoie à d’autres tentatives d’étouffement d’affaires de la part de Vincent Bolloré. Celui-ci est n’en est en effet pas à son coup d’essai pour faire taire les voix qui dénoncent les conséquences de son business en Afrique.

Le fondateur d’Off Investigation, Jean-Baptiste Rivoire, a directement été concerné, en tant qu’ancien rédacteur en chef chez Canal+, par la censure de plusieurs enquêtes au sein de sa chaîne après son rachat par Vincent Bolloré. Auditionné en mars 2024 à l’Assemblée nationale, il énumérait ainsi plusieurs cas de censure par la direction de la chaîne cryptée.

Au cours de cette audition, est abordé un exemple qui remonte au mois d’octobre 2017 et qui concerne les activités de l’industriel breton au Togo : rappelant que Vincent Bolloré cherchait à l’époque à signer des contrats avec le président togolais, Jean Baptiste Rivoire relate comment la direction de Canal+ a fait retirer de ses replays un reportage de « L’effet papillon » sur la répression d’une mobilisation d’ampleur qui avait fait des dizaines de morts dans ce régime autoritaire d’Afrique de l’Ouest.

Un humour interdit à l’antenne

Dans la même lignée, l’humoriste franco-béninois Edgar-Yves a été censuré en 2021 sur une chaîne du groupe Bolloré pour une blague sur la corruption dans laquelle il ciblait directement l’industriel breton. Il pointait précisément les liens entre Vincent Bolloré et certains dirigeants d’Afrique de l’Ouest. « Le sketch de l’humoriste Edgar-Yves a été coupé au montage d’une émission diffusée lundi soir sur la chaîne du groupe Canal+ », rapportait Le Monde au mois de janvier de la même année.

« Dans la foulée de l’enregistrement, des pressions sont exercées, selon plusieurs personnes, pour que l’artiste accepte de supprimer ce passage. Son franc-parler étant sa marque de fabrique, il refuse. Une version contestée par le producteur de l’émission [qui assure que] le sketch a été coupé à la demande de l’artiste, qui n’était pas content de sa prestation. »

L’artiste a raconté avec ses mots cet épisode dans le cadre de plusieurs interviews, dont un entretien publié en mars 2023 sur la chaîne YouTube de Kevin Razy.

Des procédures bâillon

Même en dehors de son groupe, Vincent Bolloré n’hésite pas à s’en prendre à ceux qui s’intéressent aux conséquences de ses activités en Afrique. Ainsi, il attaquait en 2016 neuf passages d’un Complément d’enquête intitulé « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? », réalisé par les journalistes Tristan Waleckx et Matthieu Rénier. Tous ces passages concernaient les activités africaines du groupe de l’industriel breton. Celui-ci avait été jusqu’à assigner France 2 en justice en lui réclamant 50 millions d’euros pour la rediffusion du reportage de Tristan Waleckx qui, selon lui, nuisait à ses « intérêts commerciaux ». « Le but est d’intimider la presse et de la dissuader d’enquêter », alertait Mediapart dès juillet 2016.

Dans un entretien accordé en 2021 à la revue des médias de l’INA, Tristan Waleckx, qui a décroché le prestigieux prix Albert Londres pour ce reportage, détaille l’acharnement du multimilliardaire dans cette affaire : « Je reçois une première assignation devant le tribunal de commerce : Vincent Bolloré attaque France Télévisions pour dénigrement et réclame 50 millions d’euros à France 2. […] On a appris quelques mois plus tard qu’il avait aussi porté plainte pour diffamation devant le tribunal de Nanterre, puis qu’il y avait une troisième plainte, également pour diffamation, devant le tribunal de Douala via la société Socapalm. À l’époque [au Cameroun], la diffamation est un délit puni de la prison ferme pour lequel on peut faire de la détention provisoire. »

Le journaliste expliquait également que, dans le cadre d’une des procédures le visant, il lui était personnellement réclamé 150 000 euros. « On a gagné en première instance, en appel et en cour de cassation, ainsi qu’au tribunal de commerce, et en appel au civil. Nous avons donc gagné cinq des procès qui ont eu lieu, et nous attendons encore celui qui doit se tenir au Cameroun. Les frais d’avocats pour France Télévisions se comptent en centaines de milliers d’euros », soulignait encore Tristan Waleckx.

Dans ces affaires, Vincent Bolloré se comporte un peu comme Bernard Arnault, qui refuse d’assumer des pratiques « border » parfois reprochées à son groupe. Dans l’affaire Boyard, l’effet « Streisand », prévisible, a bien eu lieu. C8 a fait l’objet d’une condamnation de l’Arcom, Hanouna et le patron de la chaîne, Franck Appietto, sont poursuivis pour « injure publique » et suite à divers autres dérapages, C8 a fini par perdre sa fréquence TNT. Hanouna regrette-t-il aujourd’hui d’avoir insulté le député Louis boyard ? Présent à l’audience du 17 décembre, Off investigation aurait aimé lui poser la question. Mais la star de C8, protégée de Vincent Bolloré, a séché son procès. Arrogance, quand tu nous tiens…

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