S’il aime faire valoir son attachement à une presse libre, l’exécutif français s’efforce de contrôler le cadre dans lequel les journalistes peuvent l’interpeller. Off Investigation a recueilli plusieurs témoignages montrant que le pouvoir macroniste entrave régulièrement des professionnels de l’information dans le libre exercice de leur métier.
La venue en France, le 2 avril, du chef de la diplomatie étatsunienne, Antony Blinken, ainsi que ses rencontres avec le président de la République Emmanuel Macron et le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, avaient de quoi susciter l’enthousiasme des journalistes désireux d’interpeller ces hauts responsables sur des dossiers internationaux. En de telles circonstances, quoi de mieux qu’une conférence de presse afin de pouvoir questionner les uns et les autres ? Voilà qui intéressait particulièrement la journaliste indépendante Meriem Laribi, ainsi qu’un autre confrère qui nous a demandé de préserver son anonymat. Ayant eu écho d’une visite matinale d’Antony Blinken à Versailles, les deux journalistes ont rapidement tenté de se faire accréditer à l’événement. La première reçut une réponse positive, tandis que le second dû se contenter d’un refus d’accréditation en raison de « places limitées ». Motif étrange puisqu’après avoir comparé plusieurs courriels, Off Investigation a constaté qu’il avait fait sa demande avant d’autres journalistes qui eux, ont bien obtenu l’accréditation.
Blinken/Macron : aucune question autorisée
Dans une boucle WhatsApp créée en amont de l’événement, le service presse concerné fait rapidement comprendre aux journalistes accrédités qu’ils ne seront autorisés à poser aucune question à Messieurs Macron et Blinken. L’idée de participer à une figuration journalistique pour l’occasion n’intéresse alors pas Meriem Laribi qui, depuis six mois, consacre son quotidien à informer sur la situation à Gaza : couverture des événements à toute heure sur les réseaux sociaux, déplacements multiples pour suivre l’évolution de la position française sur le dossier ou encore rédaction de plusieurs analyses et enquêtes à ce sujet.
Par ailleurs, bien qu’étant inscrite dans les boucles de communication du ministère des affaires étrangères et alors qu’elle avait l’habitude d’assister aux points de presse hebdomadaires du quai d’Orsay, Meriem Laribi ne fut cette fois pas conviée à la conférence de presse du jour entre Antony Blinken et Stéphane Séjourné : « Comme cela m’a été confirmé par une consœur, les journalistes présents ont été informés de la tenue de cet événement et invités à y participer par des voies non habituelles. J’ai demandé des explications au service presse du Quai d’Orsay, aucune ne m’en a été donnée », confie-t-elle à Off Investigation.
De la même façon, notre confrère dont nous taisons le nom aurait tout aussi volontiers participé à l’événement, d’autant plus qu’il est titulaire d’une carte de presse émanant du Quai d’Orsay lui permettant habituellement de participer à des événements organisés par la diplomatie française. Il n’a pas été convié lui non plus. Travaillant pour divers médias internationaux étrangers, ce confrère n’en est pas à son premier refus, et n’est donc « pas spécialement étonné » que l’exécutif français trie sur le volet les journalistes en de telles circonstances. Précisons que les médias pour lesquels est amené à travailler notre confrère ne sont aucunement liés, ni de près ni de loin, à un Etat considéré comme hostile par la France, ce qui permettrait à Paris de prétexter la situation internationale pour lui refuser des accréditations.
L’accréditation : un outil pour écarter arbitrairement certains journalistes
S’il a récemment pu assister à certaines conférences de presse de la diplomatie française, ce journaliste raconte en revanche n’avoir jamais eu aucune réponse du ministère de l’Intérieur malgré de multiples tentatives d’accréditation à différentes occasions. Même résultat avec le ministère de l’Éducation à l’époque où Gabriel Attal y était en poste, rapporte-t-il. Les portes lui sont également désormais « totalement fermées » à Matignon où notre confrère nous explique avoir pourtant eu par le passé la possibilité d’obtenir certains échanges. Finalement, il explique que seul le ministère de l’Économie continue jusqu’à présent d’être disposé à lui envoyer ses communications presse dans la durée. Encore tout récemment, notre confrère raconte s’être vu refuser une demande d’accréditation à un compte-rendu du Conseil des ministres au motif de « places insuffisantes ». Pourtant, Off Investigation a pu vérifier le jour en question que de nombreux sièges étaient libres dans la salle de presse concernée. « C’est simple, à l’Elysée je n’ai jamais pu poser une seule question, ni à Emmanuel Macron, ni à un porte-parole du gouvernement », résume celui qui explique en revanche avoir eu l’occasion, à plusieurs reprises de participer à des discussions en « off » avec les équipes de l’exécutif.
Ce témoignage fait écho à une récente affaire à ce stade encore non élucidée. Le 14 février, alors accrédité au compte- rendu du Conseil des ministres, le journaliste indépendant Frédéric Aigouy interroge la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot sur la position de la France au sujet du sabotage, en septembre 2022, des gazoduc russes Nord Stream (utilisés pour acheminer du gaz russe vers l’Allemagne, ndlr) et des recherches en cours pour identifier ses auteurs. Il publie le lendemain matin sur les réseaux sociaux une séquence vidéo faisant apparaître son échange avec la ministre.
Séquence virale sur X
L’embarras de son interlocutrice sur cette question internationale, donne alors lieu à une séquence virale : uniquement sur le compte X du journaliste, la vidéo cumule plusieurs centaines de milliers de vues en moins de 24 heures.
La semaine suivante (le 21 février), dans l’attente d’une accréditation qui arrive généralement quelques heures seulement avant le point presse en question, le journaliste qui habite à Toulouse est en route vers la capitale pour se rendre à l’Élysée. Une fois sur place, il explique sur les réseaux sociaux avoir reçu un refus d’accréditation et décide de poser sa question à Prisca Thevenot en se filmant avec son téléphone, depuis lequel il partage la vidéo.
Depuis cet épisode du 21 février, Frédéric Aigouy assure qu’il a tenté sans succès d’obtenir des explications auprès de l’Élysée. Il en a parlé à l’antenne de certains médias (Sud Radio , TVL ou encore France soir) où il ne cache pas avoir travaillé plusieurs années pour RT France, la chaîne publique russe récemment interdite de diffusion en France. Pour rappel, créée après les antennes anglaise, arabe ou espagnole de Russia Today, RT France fut dotée pendant plusieurs années d’une rédaction française (l’auteur de cet article, désormais journaliste indépendant, a lui-même travaillé pour le site web de RT France pendant plusieurs années en tant que rédacteur et reporter de terrain, ndlr). Ses journalistes furent régulièrement interdits d’accès à l’Elysée depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Le 29 mai 2017 , le président français alla jusqu’à décréter, sans apporter le début d’une preuve, que les journalistes de la rédaction de RT France «[n’étaient] plus des journalistes » – ignorant ou feignant ainsi d’ignorer que leur professionnalisme était à l’époque reconnu par l’instance française compétente en la matière : la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP). Depuis la guerre que la Russie mène en Ukraine, la rédaction de RT France a finalement été mise sur le carreau en 2023 après une année de censure à l’échelle de l’Union européenne, dont s’est abondamment félicitée la macronie.
L’expérience professionnelle que Frédéric Aigouy ne cache pas sur son CV aura-t-elle participé à le faire devenir persona non grata au palais présidentiel depuis son dernier échange avec Prisca Thevenot ? Le service presse de l’Elysée a-t-il un problème avec l’activité de ce journaliste sur les réseaux sociaux, à travers laquelle il revendique auprès d’Off Investigation une ligne « anti-impériale » ? « Je combats le bras armé de l’empire, l’OTAN, qui est une alliance militaire agressive par nature. Sans guerre, elle disparaît et les milliards qui engraissent le complexe militaro- industriel avec. Nous vivons dans une telle soumission idéologique à Washington, que toute critique à leur égard devient une position pro-russe. Je n’ai pas d’agenda pro-russe, j’ai un agenda pro-France. Pour une France souveraine, comme elle a l’a toujours été par le passé », nous a-t-il confié. Le malaise du 21 février a-t-il écorché la conception macroniste de ce que devrait être un échange entre le pouvoir exécutif et les journalistes qui l’interpellent ? Quoi qu’il en soit, la présidence française demeure pour l’heure bien mystérieuse sur le sujet. Contacté, son service presse n’a à ce stade pas souhaité commenter l’affaire auprès d’Off Investigation.
Rares et verrouillées : les conférences de presse jupitériennes
Aux témoignages de journalistes expliquant être empêchés d’accéder à certains lieux de pouvoir, s’ajoutent ceux qui nous révèlent l’envers du décor d’événements que la macronie aime à présenter comme des « rendez-vous d’échange entre le pouvoir exécutif et les journalistes ». Prenons l’exemple de la dernière conférence de presse d’Emmanuel Macron, que ses équipes ont organisée à l’Elysée le 16 janvier 2024, soit près de cinq années après la dernière fois que le chef de l’Etat avait daigné se prêter à l’exercice (l’événement avait été organisé en avril 2019 face à l’accumulation de critiques visant ledit « grand débat national » en pleine révolte des Gilets jaunes). Il s’agissait donc une fois de plus pour Emmanuel Macron de ne pas être pris au dépourvu, quitte à revisiter à sa façon l’exercice journalistique ce soir-là. « Certaines questions étaient téléphonées en avance, on pouvait voir Macron qui lisait des réponses toutes préparées », témoigne pour Off Investigation notre confrère souhaitant rester anonyme.
Il souligne également avoir été présent, quelques semaines plus tard, le soir où le chef de l’État a annoncé ne pas écarter la possibilité d’envoyer en Ukraine des troupes occidentales au sol. « J’ai vu le même journaliste qui s’est levé à trois reprises pour poser trois questions différentes, alors qu’on ne me laissait pas la parole. J’ai même vu une des personnes de l’Elysée en train de me montrer à un membre du service de presse, je me suis dit que je serais le prochain mais j’ai finalement compris que c’était pour dire qu’il ne fallait pas me laisser prendre la parole », relate-t-il, constatant là encore le même verrouillage des prises de parole dont il avait été témoin durant la soirée du 16 janvier dernier.
Cela fût en effet rapporté, notamment par le site Arrêt sur images (ASI) : bien qu’ayant suivi toutes les consignes du service presse de la présidence, de nombreux journalistes se virent privés du précieux micro permettant de s’adresser à Emmanuel Macron. À l’inverse, certains n’ayant pas à eu à se plier aux règles – parmi lesquelles l’envoi à l’avance de leurs questions –, eurent la chance de pouvoir s’adresser au président de la République. Ce jour là, le micro tant convoité se retrouva à de multiples reprises en possession de grandes chaînes de télévision, la gagnante de la soirée étant BFMTV, chaîne alors contrôlée par le milliardaire Patrick Drahi.
Comme en témoigne l’enquête d’ASI, qu’il s’agisse des sujets abordés ou de ceux qui ont eu le privilège d’être choisis pour le faire, l’Elysée jouait à domicile. « C’est l’Élysée qui organise, qui reçoit, c’est donc l’Élysée qui a la main. À partir du moment où c’est l’Élysée qui choisit les questions, ça oriente forcément les questions qui sont posées », confia à ASI le président de l’Association de la presse présidentielle, Jean-Rémi Baudot. Au-delà de deux seules conférences de presse d’Emmanuel Macron à l’Elysée depuis le début de son premier mandat, les équipes de la présidence ont d’autres occasions de jouer à domicile pour se targuer d’être à disposition de la presse : le compte-rendu du Conseil des ministres en fait partie. Là encore, de récents changements affectant la retransmission de ce moment d’échange témoignent d’une volonté de contrôler l’image de l’exécutif français, quitte à couper les projecteurs aux journalistes qui agacent. Quand on joue à domicile, tout est possible…
Des journalistes soudainement invisibilisés
Voilà plusieurs années que le porte-parolat du gouvernement français se propose, après chaque Conseil des ministres, de répondre aux questions de journalistes accrédités. L’exercice se déroule à quelques pas du palais de l’Élysée, dans une petite salle pouvant accueillir plusieurs dizaines de personnes. Depuis son pupitre surélevé, le communicant gouvernemental en poste y dévoile d’abord un résumé du Conseil, avant de donner la parole à celles et ceux qui souhaitent le questionner sur les sujets de leur choix. Les journalistes accrédités sont libres de la façon dont ils souhaitent interpeller et relancer l’exécutif français, dans le respect de tous. Cela permet à de nombreux professionnels de l’information d’opter pour différentes techniques, plus ou moins incisives, afin d’obtenir des réponses de ministres en poste. Il n’y a jamais eu aucune règle en vertu de laquelle tel ou tel journaliste pourrait se voir reprocher d’être soit trop complaisant, soit trop obstiné.
Ces dernières années, les questions sont posées depuis deux micros fixes installés de part et d’autre de la pièce. Ces emplacements sont baignés d’une lumière de studio qui, jusqu’à peu, permettait d’optimiser la retransmission en direct des interactions entre le porte-parole du gouvernement et la presse. En effet, avec ce dispositif, les internautes visionnaient jusqu’alors des échanges où apparaissaient tour à tour le visage d’un ministre et celui des journalistes prenant la parole. Mais depuis le 20 mars 2024 , bien que les projecteurs en question n’aient pas bougé, les deux caméras dirigées vers les journalistes ont cessé de filmer.
Pourquoi ? Nous avons posé la question à l’association de la presse présidentielle (APP) qui ne préfère pas s’avancer de façon trop catégorique sur le sujet. Il nous est expliqué qu’a priori, « la vidéo n’est pas systématiquement sur les journalistes mais qu’en tout état de cause c’est avec l’Elysée qu’il faut voir cela ». Soulignant que l’aspect vidéo n’était pas son « sujet », l’APP préfère mettre en avant son engagement à ce que « chacun puisse poser les questions qu’il souhaite sans restriction ».
Du son, mais plus d’image
Quant au service presse de l’Elysée, il n’a à ce stade pas souhaité répondre à cette question dans le cadre de notre enquête. Sachant que, selon nos recherches, le dispositif qui permettait jusqu’alors de filmer les journalistes aux emplacements indiqués est en place depuis fin 2020, comment donc interpréter le débranchement soudain de deux caméras ? Simple problème technique, ou décision de l’Elysée visant à invisibiliser les journalistes lors de leurs échanges avec l’exécutif ? La deuxième hypothèse apparaît d’autant plus probable à la lecture des témoignages sur les réseaux sociaux du journaliste Cemil Sanli (Le Média) et de sa consœur Meriem Laribi qui, depuis plusieurs mois, assiste régulièrement aux comptes-rendus du Conseil des ministres. Nous les avons contactés pour essayer de retracer la chronologie des faits. L’affaire pourrait se résumer en quatre actes.
21 février, acte 1. Le compte-rendu du jour marque le début d’une ambiance particulièrement pesante dans la petite salle de presse de l’Elysée. Le soir-même, le journaliste du Média rapporte sur sa chaîne YouTube un épisode pour le moins embarrassant qu’il vient de vivre avec Meriem Laribi. Il explique d’abord s’être fait approcher, en fin de séance, par une consœur d’« un grand média de référence » qui, en aparté, décide de lui faire quelques reproches sur sa façon de relancer la ministre. Cela aurait pu s’en tenir à un échange entre deux protagonistes ayant chacun une approche journalistique différente. Mais la situation évolue quand, quelques instants plus tard, alors qu’il participe à un échange en « off » avec d’autres journalistes et la porte-parole du gouvernement, la consœur en question coupe la discussion en cours pour réitérer ses critiques devant l’ensemble des personnes présentes, y compris Prisca Thevenot qui préfère alors s’éclipser à quelques mètres de là. Cemil Sanli rapporte alors sa stupéfaction quand une seconde journaliste, ainsi que certains membres du staff ministériel, appuient les critiques qui le visent directement, ainsi que Meriem Laribi. Comme il le racontera dans sa vidéo, le journaliste du Média explique avoir eu le sentiment de « se retrouver au centre d’une arène », et d’être visé par une « recherche d’humiliation ».
Émission de Cemil Sanli, journaliste par ailleurs en poste au Media.
13 mars, acte 2. Comme d’habitude, les journalistes accrédités participent à l’événement hebdomadaire, exceptionnellement décalé d’une semaine en raison du calendrier présidentiel.
Cemil Sanli nous raconte qu’au moment où il pose sa première question à la porte-parole, un membre du staff se précipite derrière lui pour lui « tirer le coude » et lui demander, à l’oreille, d’écourter. Et, lorsque Meriem Laribi est à son tour au micro pour poser une question à la ministre, Cemil, qui est assis dans la salle, explique entendre de façon très nette l’agacement d’une consœur à l’arrière qu’il voit ostentatoirement agiter ses bras et souffler durant l’échange en direct. Il décide, après avoir longuement hésité, d’approcher en fin de séance la consœur en question, en compagnie de Meriem Laribi. Il dit vouloir essayer de la comprendre.
Bien qu’elle se déroule à l’abri du regard de la ministre, la scène qui s’en suit n’en demeure pas moins lunaire. Assurant vouloir dissiper l’incompréhension qui semble s’être installée, Meriem et Cemil racontent avoir été accusés, par deux de leurs confrères, de chercher à faire de ce point presse « une tribune », de vouloir « faire le buzz » en repartageant des séquences filmées de leurs échanges avec la ministre. « Votre simple présence est un problème ! », leur est-il notamment asséné. Pour faire baisser la tension, Meriem Laribi nous explique qu’elle propose à une interlocutrice de « se parler tranquillement entre confrères » : « On n’est pas des confrères ! », se voit-elle rétorquer. Meriem et Cemil rapportent qu’au cours de cette scène, il leur est dit que des discussions seraient en cours sur le principe même de filmer les journalistes pendant qu’ils s’adressent à la porte-parole du gouvernement. « Je serai de ceux qui demanderont un changement », leur aurait ainsi lâché un de leurs interlocuteurs.
Suite à cette scène, Meriem et Cemil cherchent une solution pour stopper la (mauvaise) dynamique qui se développe. Ils décident alors de ne rien dire sur leurs réseaux sociaux très suivis et de rédiger un courrier à l’Association de la presse présidentielle « pour régler tout ça en interne, de manière apaisée ». Ils y racontent les agressions qu’ils estiment avoir subies. Pour ne pas envenimer la situation, les deux journalistes expliquent à ce stade ne pas vouloir alerter officiellement les structures syndicales. Se montrant particulièrement attentive à ce courrier, l’APP revient alors cordialement vers Meriem et Cemil, auprès de qui elle exprime une volonté d’apaisement sur le sujet. Bien qu’ils ne soient pas les seuls à interroger avec insistance l’exécutif sur certains dossiers, Meriem et Cemil expliquent avoir conscience que leurs interventions à l’Elysée peuvent participer à chambouler le déroulé de ce point presse hebdomadaire. Ils soulignent néanmoins que leur démarche vise à obtenir des éclaircissements de l’exécutif, questionner la cohérence des positions gouvernementales et en rendre compte auprès du plus grand nombre. Meriem Laribi développe : « Ça ne m’amuse pas de me mettre en avant dans des vidéos, je ne suis personnellement pas spécialement à l’aise avec cet exercice, mais on est en 2024 et ces vidéos sont aujourd’hui des objets d’information, c’est pour ça qu’on les partage. Ce qu’on fait c’est peut-être une nouvelle forme de journalisme. Mais qui peut nier que tout se passe aujourd’hui sur les réseaux ? »
20 mars, acte 3. Visiblement au fait d’une situation tendue, le service presse de l’Elysée intervient au tout début de la séance du jour. Comme le relate Meriem Laribi, l’intervenante en question explique que tous les journalistes accrédités ont le droit de poser autant de questions qu’ils le souhaitent, que chacun a la liberté de relancer la porte-parole comme il l’entend et qu’aucun changement n’est prévu. La journaliste est soulagée : « J’étais presque émue de me dire que la liberté de la presse était préservée, au moins dans ce cadre ». Quelques instants plus tard, la diffusion en direct du compte-rendu débute. Au moment des questions posées par les journalistes, les caméras restent figées sur la porte- parole du gouvernement, Prisca Thevenot. Problème technique ou invisibilisation volontaire des journalistes ? « Je ne pouvais pas croire qu’une minute après la mise au point qu’on venait d’avoir, ils aient osé », s’étrangle Meriem Laribi.
3 avril, acte 4. En raison du calendrier présidentiel, deux semaines se sont écoulées depuis le dernier compte-rendu du Conseil des ministres. Trêve de suspense au sujet d’une potentielle panne technique qui aurait pu expliquer l’épisode précédent : pour la deuxième fois consécutive, les journalistes qui interpellent Prisca Thevenot sont invisibilisés lors de la retransmission en direct de la séance. Ceux qui cherchent à obtenir une réponse auprès du service presse de l’Elysée ne reçoivent aucune explication officielle. « La première coupure des caméras a eu lieu une semaine après qu’un journaliste habitué des lieux nous a expliqué que des discussions étaient en cours à ce sujet… Et les caméras n’ont pas été réactivées lors du compte-rendu suivant ! On ne peut qu’imaginer une forme de collusion entre certains journalistes et le pouvoir : ce n’est pas nouveau, mais c’est un vrai problème. On ne doit pas se satisfaire d’un journalisme de cour ! », commente Cemil Sanli pour Off Investigation. « Beaucoup de nos confrères qui peuvent être de notre côté ne sont pas forcément en mesure de prendre ouvertement position sans demander l’aval du média pour lequel ils travaillent. C’est pour ça qu’on a décidé avec Meriem de témoigner de ce qui se passe. Aujourd’hui ils retirent les caméras, quelle sera la prochaine étape ? », interroge-t-il encore. « Certes, couper les caméras sur les journalistes n’empêche pas de les entendre poser leurs questions librement, mais cette décision est mesquine et vicieuse, surtout après les garanties qu’on avait reçues », abonde Meriem Laribi.
Tenir à l’écart des journalistes de certains lieux de pouvoirs, fixer des règles pour mieux contrôler les échanges avec la presse, chercher à invisibiliser celui ou celle qui interpelle l’exécutif… Autant d’exemples cités dans cette enquête qui pourraient laisser penser que le pouvoir macroniste n’a désormais plus à se confronter au journalisme incisif. De nombreux exemples prouvent cependant le contraire : depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le chef de l’État en personne ainsi que les membres des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années, ont été à de multiples reprises déstabilisés par l’exercice journalistique. Des révélations qui n’auraient jamais vu le jour sans enquêtes de qualité, aux interviews qui ne tournent pas toujours comme prévu : la macronie est consciente que ses échanges avec la presse peuvent parfois s’avérer être un exercice périlleux. Est-ce parce qu’elle le redoute qu’elle cherche à s’en protéger, tout en s’efforçant de continuer à revendiquer son attachement à une presse libre ? Deux orientations opposées qui mènent le pouvoir politique à prendre certaines décisions, en certaines circonstances, dans une certaine opacité…
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