Révélations sur un réseau d’investigation financé par Washington

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A coups de financements considérables, l’administration étasunienne s’efforce de façonner la ligne éditoriale d’un des plus importants réseaux de médias d’investigation au monde, l’« Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) ». Un consortium avec lequel collabore notamment le journal Le Monde, qui semble peu préoccupé par les finances de cette organisation.

En collaboration avec la télévision publique allemande NDR (qui a finalement annulé la diffusion de son sujet), les médias d’investigation Mediapart, Drop Site News, Il Fatto Quotidiano et Reporters United ont publié le 2 décembre une enquête qui révèle comment Washington finance abondamment un des plus vastes réseaux de médias d’investigation au monde, l’OCCRP (consortium à l’origine de nombreuses enquêtes d’envergure internationale), afin de contrôler sa ligne éditoriale et d’orienter ses révélations. Le tout au service de la politique étrangère et des intérêts économiques étasuniens.

Depuis qu’elle a vu le jour en 2008, cette organisation aurait ainsi reçu au moins 47 millions de dollars du gouvernement des États-Unis, auxquels s’ajoutent aussi 14 millions versés par six pays européens ou encore 1,1 million de l’Union européenne.

Certains partenaires français de l’OCCRP, dont le journal Le Monde, n’ont pas souhaité dire s’ils avaient été informés de l’ampleur du financement de ce consortium par les États-Unis, ni des conditions qui lui sont attachées. Assurant n’avoir aucune raison de remettre en cause sa relation de confiance avec l’OCCRP, le quotidien français ne semble donc pas particulièrement préoccupé par une telle implication étatique au sein d’un des plus influents réseaux d’investigation au monde. Notons qu’à l’inverse, face aux efforts déployés par Washington pour étouffer l’émergence d’un journalisme indépendant sur le modèle de WikiLeaks, Le Monde s’est par le passé fait l’écho d’une campagne politico-médiatique trompeuse accusant Julian Assange d’être à la solde de la Russie.

Quasi intégralement financée pendant des années par l’administration étasunienne et la fondation « Open Society » du sulfureux milliardaire George Soros, l’OCCRP revendique aujourd’hui une diversification de ses financements qui garantirait sa liberté éditoriale. Reconnaissant avoir subi dès ses débuts certaines restrictions – « Nous n’avions pas le droit d’utiliser l’argent du gouvernement américain et de Soros pour faire des articles sur les États-Unis » –, l’organisation est-elle désormais réellement protégée de toute influence étatique ? L’enquête de nos confrères tend à prouver le contraire en détaillant comment le travail du colossal consortium reste amplement piloté par l’Oncle Sam qui, au cours des dix dernières années, a financé la moitié de son budget.

« Faire avancer la politique étrangère et les intérêts économiques des États-Unis »

« Le gouvernement des États-Unis est largement épargné par l’OCRRP [et] parvient à aiguiller le travail journalistique de l’ONG, en lui accordant des financements qu’elle a l’obligation d’utiliser pour travailler sur certains pays. Dont la Russie et le Venezuela, dirigés par des autocrates par ailleurs ennemis déclarés de Washington », relatent les auteurs de l’enquête.

Malgré la diversification de ses sources de financements, l’OCCRP reste tenue de respecter le « Foreign Assistance Act, la loi étatsunienne sur l’aide distribuée à l’étranger, dont le principe de base est que les financements doivent être alignés avec et faire avancer la politique étrangère et les intérêts économiques des États-Unis ».

Nos confrères démontrent à travers plusieurs cas que l’organisation est ainsi beaucoup moins disposée à s’emparer d’affaires compromettant les intérêts étasuniens que de dossiers impliquant des pays déclarés hostiles par Washington. L’OCCRP accepte même certains dons « orientés » des Etats-Unis pour enquêter sur certains pays jugés prioritaires l’administration américaine. « Entre 2015 et 2019, le département d’État a ainsi donné 2,2 millions de dollars à l’OCCRP pour l’opération [visant à] contrebalancer la sphère médiatique russe », expliquent par exemple les journalistes Yann Philippin et Stefan Candea, qui rapportent également d’autres exemples à plus petite échelle visant des pays latinoaméricains.

« En mai 2024, l’OCCRP a produit un rapport à l’attention des gouvernements sur la meilleure façon de combattre les intermédiaires (prête-noms, avocats) qui facilitent le contournement des sanctions contre la Russie. Ce document a été produit grâce à un financement du ministère des affaires étrangères du Royaume-Uni, en partenariat avec le Royal United Services Institute (RUSI), un think tank britannique proche du gouvernement et des milieux militaires, dont l’un des vice-présidents est David Petraeus, ancien patron de la CIA. », relate encore l’article publié par Mediapart.

Inquiet de l’influence de Washington dans les activités de l’OCCRP, le journaliste d’investigation américain Lowell Bergman explique avoir démissionné du conseil d’administration du consortium dès 2015, notamment parce qu’il a « pris conscience de l’implication de son gouvernement » dans la structure.

Porosité entre l’OCRRP et l’administration américaine

Si ce consortium a été cofondé en 2008 à Sarajevo par le journaliste américain Drew Sullivan, nos confrères ont découvert que « l’homme qui a rendu possible la création de l’OCCRP est un militaire et haut fonctionnaire américain nommé David Hodgkinson ». Déployé par l’armée de son pays sur de nombreux terrains comme l’Irak et le Panamá, David Hodgkinson a par la suite occupé « des postes à responsabilité au département d’État et à la Maison-Blanche, dans le domaine des affaires étrangères, du contre-terrorisme et des services secrets […] et travaille aujourd’hui au Bureau du directeur national du renseignement, l’organisme chargé de coordonner l’activité des différents services secrets américains ».

Ce colonel à la retraite n’est pas le seul à avoir marqué l’histoire de l’OCRRP. Nos confrères nous apprennent par exemple qu’en 2017, l’organisation a recruté comme « cheffe des partenariats mondiaux et des politiques » Camille Eiss, une haute fonctionnaire étasunienne qui, juste avant son embauche, était conseillère anticorruption au département d’Etat et qui y est retournée en 2022, pour travailler au bureau chargé des procédures de sanctions.

Des financements embarrassants ?

Subventionnée par l’Agence des États-Unis pour le développement international, plus connue sous son acronyme anglophone « USAID », l’OCCRP est obligée d’afficher publiquement ce soutien, selon des modalités précises. Comme le rapportent nos confrères, depuis au moins 2010, il y avait, en bas de la page d’accueil, la mention « l’OCCRP a été rendu possible par », avec le logo d’USAID et des plus gros donateurs. Mais la mention a été retirée en 2018 et les logos en 2019. Désormais, l’USAID apparaît seulement comme un donateur parmi d’autres, sur la page listant vingt-trois soutiens de l’OCCRP.

Le sponsor en question est d’autant plus embarrassant pour l’OCCRP que l’argent américain n’est pas gratuit. « Il y a des contreparties », indique le haut fonctionnaire d’USAID Michael Henning, cité par Mediapart. En effet, sa collègue Shannon Maguire explique que l’accord actuel avec l’OCCRP, conclu en 2023, comporte une « clause d’implication substantielle » qui octroie à l’USAID un droit d’agrément sur le « plan de travail annuel » de l’OCCRP, ainsi qu’un droit de veto sur ses « personnels clés » lors de l’attribution du financement.

Nous encourageons nos lecteurs à découvrir cette enquête en intégralité sur le site de Mediapart qui explique avoir subi des pressions de la part de l’OCCRP avant la publication de son article.

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