Au lendemain de l’ouverture du procès du financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, Off Investigation publie un article de Mondafrique. Initialement paru en 2017, il revient sur le mystérieux Souheil Rached, un maillon essentiel de la relation franco-libyenne qui n’a jamais été entendu par la justice française. Beau-frère de Leïla Shahid (Déléguée générale de la Palestine en France de 1994 à 2005), il fait pourtant partie des onze personnalités que l’ancien Président de la République n’a pas le droit de voir.
Ancien représentant du colonel Kadhafi en France, longtemps au mieux avec Nicolas Sarkozy et ses proches, actif en Afrique francophone et très lié aux services français, Souheil Rached est parfaitement au courant des relations entre le pouvoir français et le dictateur libyen assassiné en 2011. Son audition par la justice française aurait permis d’éclairer utilement les coulisses de ce dossier complexe de financement politique. Ces dernières années, en effet, lorsqu’il se confiait en privé à son entourage, Souheil Rached révélait la réalité des aides de Kadhafi à la classe politique française au début des années 2000. Portrait d’un témoin clé du dossier Sarkozy-Kadhafi, manifestement protégé depuis plusieurs années en France par la raison d’Etat.
Militant du FPLP
Ancien photographe de presse au Liban, Souheil Rached aura été surtout dans sa jeunesse un militant courageux et déterminé du FPLP, l’organisation palestinienne de Georges Habache. C’est à ce titre qu’il rencontre, durant la guerre du Liban (1975-1990) les milieux de renseignement français ainsi que le colonel libyen Saleh Drouki, alors ambassadeur de Libye à Beyrouth.
Présenté à Tripoli au « Guide », le jeune Souheil débute une carrière brillante et foudroyante auprès de Moussa Koussa, qui est chargé, sous l’autorité directe de Kadhafi, de tous les dossiers sensibles à l’étranger. À ce titre, Koussa négociera avec les Anglais le dossier « Lockerbie », du nom de ce village écossais où un avion de la Pan-Am s’écrase en 1988, victime d’un attentat meurtrier (270 morts) qui sera imputé aux Libyens. Apparemment, Moussa Koussa, adepte du double jeu, saura s’y prendre avec les services anglais. Durant la guerre franco-anglaise en Libye en 2011, ce proche parmi les proches de Kadhafi s’enfuit en Angleterre, porteur de ses secrets d’État; il y sera fort bien accueilli, avant de gagner l’Arabie Saoudite, où il séjourne.
De Paris à Bamako
Jusqu’à l’intervention en Libye en 2011, Souheil Rached, francophone et francophile, est l’homme qui connait le mieux les relations entre Tripoli et Paris, comme le raconte fort bien dans le livre « Sarkozy/Kadhafi, histoire secrète d’une trahison » (Le Seuil) la journaliste Catherine Graciet. Le domaine d’intervention de cet agent d’influence s’étend même en Afrique francophone. À l’époque, Kadhafi se veut le roi de l’Afrique sahélienne, où il déverse des dizaines de millions de dollars. Mais il s’agit de pays d’influence française. Souheil Rached déploie tout son talent pour rapprocher les hommes de Kadhafi, la diplomatie française et les chefs d’État africains, notamment au Mali et au Niger.
À Bamako encore aujourd’hui, cet homme de l’ombre est consulté par le président IBK. En revanche à Niamey, il n’est plus personna grata, car les militaires nigériens n’ont guère apprécié la façon dont il a mis en cause leur incompétence et leur corruption auprès du président nigérien Issoufou. Lors de son dernier séjour dans ce pays, il sera exfiltré par la DGSE française dès son arrivée. Les patrons de l’armée nigérienne voulaient lui faire la peau.
Bakchich pour tous
Depuis peu, Souheil Rached séjourne au Caire où il joue un röle discret pour conseiller le pouvoir égyptien sur le dossier libyen. On peut imaginer qu’il est en phase avec son ancien patron, Moussa Koussa, qui, lui, est consulté par le régime Saoudien. À Riyad comme au Caire, on souhaite que l’ordre revienne en Libye et que les frères Musulmans soient définitivement chassés du pouvoir à Tripoli.
Fort habile, Souheil Rached a maintenu des liens étroits avec ses amis (français) de la DGSE (services extérieurs) ou de la DGSI (contre espionnage), où il avait ses entrées. Ce qui explique que ses séjours parisiens aient toujours été discrets et protégés depuis que l’affaire du financement libyen a éclaté. À moins que les juges ne veuillent pas entendre un témoignage qui n’irait pas dans le sens de leurs à prioris. Ce qu’aurait à déclarer en effet ce témoin clé ne va pas dans le sens de ce qu’on entend généralement sur ce dossier, où seul Nicolas Sarkozy est mis en cause. Ces dernières années, s’exprimant en privé devant des proches, Souheil Rached n’hésitait pas à mettre en cause l’ensemble de classe politique française de gauche comme de droite. « Onze millions, leur explique-t-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions ».
Mais Souheil Rached confiait aussi que à l’époque ou le guide libyen aidait le patron de l’UMP, « Une dizaine de millions (avaient également été) donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ». Cette version est à l’image du roué colonel Kadhafi, quarante deux années de regne, qui ne voulait jamais insulter l’avenir…
Cet article que Nicolas Beau nous autorise aimablement à diffuser avait été initialement publié en 2017, puis republié sur le site Mondafrique le 6 janvier 2025.
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