Orian Lempereur-Castelli
Condamnée à 50 000 euros d'amende le 12 janvier 2023 par le tribunal de Paris pour du "prêt de main d'oeuvre illicite, la plateforme française Stuart (rachetée par La Poste en 2017) emploierait en outre clandestinement des milliers de livreurs motorisés.
Dans le marché ultra-concurrentiel de la livraison du dernier kilomètre, des plateformes comme Uber, Stuart ou Deliveroo multiplient les pratiques contestées. En avril 2022, Deliveroo a d’ailleurs été condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour “travail dissimulé”. Quand à la plateforme française Stuart, rachetée par la poste en 2017, elle vient d'écoper d'une amende de 50 000 euros pour "prêt de main d'oeuvre illicite". Son fondateur, Benjamin Chemla, a pour sa part écopé de 10 000 euros d'amende. La justice a en effet estimé que l'un des sous traitant de Stuart, la société Branis Courses, n'avait qu'une existence "purement théorique". En clair, qu'elle ne servait qu'à payer les salaires. Un coup de tonnerre dans le système des intermédiaires fictifs qui pourrait déclencher un tsunami judiciaire.
Car un second scandale couve à La Poste concernant, cette fois, les livreurs motorisés. Si les plateformes se servent du statut d’auto-entrepreneur pour ne pas s’acquitter des cotisations sociales de leurs livreurs à vélo ou en carriole, les livraisons motorisés nécessitent, elles, une “capacité de transport”, sorte d’habilitation officielle, plus difficile à obtenir pour un livreur. Stuart pourrait bien sûr obtenir cette “capacité de transport” et les salarier elle-même.
Mais pour faire baisser drastiquement le prix des courses, la filiale de La Poste a trouvé un système pour ne pas payer de cotisations sociales : elle s’arrange pour faire employer ses livreurs motorisés par des sociétés intermédiaires, appelées des “artisans”. Ainsi, les virements n’ont pas lieu entre Stuart et les livreurs mais transitent par ces “artisans”. Officiellement, ces derniers sont indépendants et facturent leurs prestations à Stuart avant de rémunérer leurs livreurs.
Des intermédiaires fictifs surnommés "artisans"
Mais selon des témoignages que nous avons recueillis, les artisans seraient en réalité soumis à Stuart comme ils sont eux mêmes sous payés par la filiale de La Poste, ils se rémunèreraient en prélevant une commission de 20 à 25% sur les gains des livreurs. Pire, ils les emploieaient le pluls souvent clandestinement de façon à ne payer, eux non plus, aucune cotisation sociale !
C’est ce vaste système de travail clandestin qui permettrait encore aujourd’hui à Stuart, filiale à 100% de Géopost, de tirer les prix des livraisons vers le bas en fraudant la TVA et les cotisations sociales.
Entre 2016 et 2022, depuis Fontenay aux Roses, en région parisienne, Norden livrait des colis pour Stuart avec sa voiture personnelle. Au fil des années, il a été employé par plusieurs sociétés intermédiaires, dites “artisans”, sans que cela ne change sa situation : “moi, j'ai toujours travaillé pour la plateforme, nous confie-t-il. Après, ce qu'il m'arrivait de faire, c'est de passer d'un artisan à un autre (...) on est sous contrat ni avec la plateforme, ni avec l'artisan. Il y a aucune des deux parties qui nous a fait un contrat de travail”.