Suites du fiasco de Bolloré
Pourquoi le contribuable paie pour Autolib’, six ans après son arrêt

Si les petites voitures électriques grises du groupe Bolloré ne circulent plus depuis des lustres en Ile-de-France, un lourd différent financier subsiste entre le célèbre milliardaire breton, le syndicat mixte Autolib’ Vélib’ métropole et les communes qui le composent. Refusant que leurs contribuables ne payent pour des errements passés, la ville d’Antony et la communauté du Grand Paris Sud Est Avenir ont refusé de verser de l’argent au syndicat mixte et ont obtenu gain de cause en justice. Au risque de faire tache d’huile ?

Le fiasco d’Autolib’ avait pris fin le 31 juillet 2018, avec l’arrêt d’exploitation des véhicules électriques en libre-service mis en place par le groupe Bolloré pour le compte de la ville de Paris et des communes avoisinantes. Le déficit du système approchait alors les 300 millions d’euros. Furieux contre le Syndicat mixte Autolib’ Vélib’ métropole (SMAVM) qui était son concédant, le groupe Bolloré cherche depuis à lui imputer ledit déficit. Alors que Bolloré réclamait 235,5 millions au SMAVM au titre des déficits d’exploitation récurrents depuis 2011, le tribunal administratif de Paris a tranché  le 12 décembre 2023 : c’est au concessionnaire (le groupe Bolloré en l’occurrence) et pas au concédant (Paris et les communes voisines) d’assumer le risque en cas de déficit. La demande d’indemnisation du groupe du milliardaire breton a donc été rejetée, du moins pour l’instant : « La société Autolib’ a interjeté appel de ce jugement et entend faire valoir ses droits au titre de l’ensemble des terrains juridiques qui s’offrent à elles dans ce cadre », indique le rapport annuel du groupe Bolloré, promettant là un nouveau feuilleton judiciaire à venir.

« La conséquence de fautes du syndicat… »

Mais bien avant que ce procès ait lieu, le SMAVM s’était déjà mis à provisionner de l’argent en vue d’une probable demande d’indemnisation du groupe Bolloré. Il s’agit d’une obligation légale. Selon le rapport d’activité 2023 du syndicat, 32,5 M€ ont déjà été provisionnés « au vu des pièces justificatives transmises par la SAS Autolib’ et considérées comme a priori recevables ». Le directeur général du SMAVM Yannick Cabaret s’explique : « Si l’on doit de l’argent à Bolloré, ce sont sur les investissements qui avaient été effectués. Par exemple les bornes de recharge sur l’espace public, qui peuvent être remboursées. Idem pour les contrats avec des tiers, que l’entreprise a dû dénoncer. » Plus de trente millions d’euros de provisions qu’il a fallu aller chercher dans les poches des villes qui composent le syndicat mixte, et donc de leurs contribuables. Mais certaines communes ont saisi la justice. Le 6 février dernier, la ville d’Antony a par exemple obtenu gain de cause auprès du tribunal administratif : elle n’a pas à payer les 43 364 € cumulés demandés par le SMAVM, car le tribunal a considéré que cette demande reposait sur des actes juridiques entachés d’illégalité. Et le 25 avril 2024, cela a été au tour du Grand Paris Sud Est Avenir d’obtenir un jugement en sa faveur : le SMAVM ne peut lui réclamer la somme de 59 500 €, car la communauté de communes « doit être regardée comme étant retirée de plein droit du SMAVM dès le 21 juin 2017 », indique le jugement. « Les deux affaires n’ont pas grand-chose à voir », estime Yannick Cabaret, « pour le Grand Paris Sud Est Avenir il s’agit d’une affaire de compétences, à savoir qui est compétent pour gérer les suites d’Autolib. Alors qu’Antony considère que la fin d’Autolib’ découle d’une mauvaise gestion de la part du syndicat mixte ». Le jugement obtenu par Antony confirme cet argumentaire : « A titre subsidiaire, les contributions instituées étant la conséquence de fautes du Syndicat, au sein duquel la Ville de Paris est majoritaire, le paiement de ces provisions engage la responsabilité du SMAVM et de la Ville de Paris. » Antony considère bien qu’il ne lui revient pas de régler l’addition finale !

Voilà le nœud du problème : comment se fait-il que le SMAVM ait laissé le groupe Bolloré et Autolib’ l’entraîner dans sa spirale d’échecs et de déficits, au point de devoir présenter désormais la note aux villes et donc à leurs administrés ? « Il aurait fallu faire mieux, nous sommes bien d’accord », convient aujourd’hui le directeur général du SMAVM. Début 2017 pourtant, l’adjoint au maire de Paris Christophe Najdovski n’avait pas hésité à se montrer péremptoire à l’occasion d’un conseil de Paris sur les responsabilités d’un éventuel déficit : « Il n’est pour nous pas envisageable qu’il soit compensé par les villes, et donc par les contribuables », avait-il déclaré. A l’époque, un premier rapport d’Ernest & Young venait de révéler que le déficit dans lequel était en train de s’enfoncer Autolib’ pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.

Mais en dépit de plusieurs avertissements, il semblerait que le syndicat mixte a accumulé les erreurs au fil du temps : « Les choix de gestion peu rigoureux (souscription d’un emprunt surdimensionné pour le financement des stations) et flous (établissement public administratif financé par ses activités et non par ses membres) produisent leur plein effet au moment de clore la gestion d’Autolib’ : en effet, l’hypothèse d’un déficit ou simplement d’un échec du service n’avait été anticipée ni dans les statuts ni dans l’organisation des compétences ni dans le financement du syndicat », a fait savoir la chambre régionale des comptes d’Île-de-France dans un rapport publié en octobre 2020.

Aulnay et les autres continuent d’éponger

Si la gestion contestable d’Autolib’ par le SMAVM a provoqué l’ire d’Antony et du Grand Paris Sud Est Avenir, d’autres communes continuent pour l’instant à payer pour les errements passés. C’est par exemple le cas d’Aulnay-sous-Bois. Le 12 avril 2024, le conseil municipal de cette commune pauvre de Seine-Saint-Denis a encore accepté de provisionner 50 000€ pour Autolib’ car « il convient de constituer une provision pour risque qui sera alimentée chaque année jusqu’à la conclusion du dossier », indiquent les documents municipaux : « Sur cinq exercices, cela fait 250 000 € au total », a fait remarquer l’adjoint aux finances de la ville, avant d’obtenir le feu vert du conseil municipal. Ainsi la commune d’Aulnay-sous-Bois accepte-t-elle de payer les choix hasardeux de Bolloré et des autorités qui auraient laissé faire, à l’instar de la majorité des communes qui composent le syndicat mixte Autolib’ Vélib’ métropole. Pour l’instant tout va bien pour le groupe Bolloré, donc : « Il ne faudrait pas que l’initiative d’Antony donne des idées aux autres », convient l’une des parties prenantes du syndicat mixte. Car si les villes arrêtent de provisionner de l’argent et en cas de victoire du groupe Bolloré en appel, qui paiera la note finale ?

Le SMAVM a fait appel du jugement rendu le 6 février dernier par le tribunal administratif de Paris, tout comme il a aussi fait appel du jugement rendu en faveur du Grand Paris Sud Est Avenir.

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