BFMTV, Télé Macron
Les liens de Marc-Olivier Fogiel avec l’exécutif affaiblissent-ils BFMTV ? (2-3)

Très proche du couple Macron, le directeur général de BFM TV Marc-Olivier Fogiel empile les entorses à la déontologie et les biais éditoriaux protégeant ses amis ou l’exécutif. Dans un contexte ou la « Première chaîne info de France » est rattrapée par ses concurrentes CNews et LCI, ses conflits d’intérêts suscitent un malaise au sein de BFMTV. Des journalistes de la chaîne racontent.  

Si le management très vertical de Marc-Olivier Fogiel provoque des souffrances au travail à BFMTV, comme nous l’évoquions hier, beaucoup déplorent avant tout sa mainmise sur l’éditorial. « Même s’il est absent, Marc-Olivier Fogiel se débrouille toujours pour savoir le contenu des réunions de rédaction », explique un journaliste.

En avril dernier, Céline Pigalle, la directrice de rédaction, est partie diriger France Bleu. À sa place, Marc-Olivier Fogiel a nommé Philippe Corbé, un de ses proches jusque là patron du service politique : les deux hommes se connaissent depuis RTL. Depuis, le directeur général semble avoir les coudées encore plus franches. « Philippe Corbé et Nicolas Marut (directeur adjoint de la rédaction, ndlr), ce sont deux ordinateurs. Ils sont archi présents du matin au soir, mais prennent peu d’initiatives éditoriales. Ils mettent en musique la ligne décidée par Fogiel », nous a confié un journaliste. 

« Trois actualités qu’on va marteler toute la journée »

« Tous les matins, la direction détermine les trois thèmes d’actualités qu’on va marteler toute la journée, raconte une journaliste. Puis, tous les chefs de services et reporters doivent se mettre au diapason ». « Chaque tranche a ses « producers », précise un collègue. Une fois les thèmes décidés par la hiérarchie, ils harcèlent les reporters pour avoir des plateaux et des reportages sur ces thèmes. Jusqu’à dix fois par jour ». 

Voir aussi : Fogiel, un autocrate à BFMTV, enquête sur le management de la « Première chaîne info de France »

Patron tout puissant, Marc-Olivier Fogiel aurait-il tendance à mettre la « première chaîne info de France » au service de ses proches ? Beaucoup reviennent sur la lamentable affaire de la fausse rétractation de Ziad Takieddine, l’un des témoins clés dans l’affaire des financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Après avoir accrédité l’hypothèse d’un financement politique de Nicolas Sarkozy par le dictateur libyen, l’homme d’affaires franco-libanais avait fait volte-face en novembre 2020 en affirmant que l’ancien chef de l’État n’avait pas bénéficié de financement de Mouammar Kadhafi. Une « rétraction » survendue à Marc-Olivier Fogiel par son amie Michèle Marchand, puis montée en épingle sur BFM TV, en exclusivité avec Paris Match – titre phare du groupe Lagardère dont Nicolas Sarkozy deviendra administrateur peu après. 

Deux mois plus tard, Takieddine revenait sur ses prétendues « rétractations », et Mediapart révélait que BFM TV s’était rendu complice d’une manipulation organisée par Mimi Marchand à grand renfort de promesses de financements. L’opération médiatique aurait été orchestrée de toutes pièces pour dédouaner l’ancien président (dont la patronne de Bestimage avait par le passé géré la communication « people »). Dans cette affaire, elle a été brièvement incarcérée à Fresnes en juillet 2021, puis mise en examen pour « subornation de témoin » et « association de malfaiteurs ». Et BFMTV a du relater ce pitoyable épilogue en reconnaissant que plus de 600 000 euros auraient été mobilisés pour obtenir la rétractation de l’intermédiaire libanais.

« Pas là pour vérifier les infos »

Interrogé fin 2021 pour les besoins du livre « L’Élysée (et les oligarques) contre l’info » sur la raison pour laquelle il avait fait relayer complaisamment cette douteuse opération « Takiedine » par BFMTV, le directeur général de la « première chaîne info de France » s’était contenté de laisser entendre qu’il n’était « pas là pour vérifier les infos ». « La vérité, c’est que nous sommes la chaîne de l’évènement, tente de convaincre un reporter. Et c’est vrai qu’on a tendance à ne pas trop reprendre les révélations de Mediapart ». Problème: ce directeur général d’une chaine d’info qui n’est « pas là pour vérifier les infos » ni pour « reprendre les révélations de Mediapart » a parfois tendance à mettre BFMTV au service d’intérêts douteux. Souvent à l’instigation de Michèle Marchand. 

Car si la patronne de l’agence Bestimage est proche du couple Sarkozy, elle l’est aussi de Marc-Olivier Fogiel et de son époux, le photographe François Roelants, qu’elle fait parfois employer par son agence. Ces liens étroits unissant depuis des années la « Reine de la presse people » et Marc-Olivier Fogiel ont leurs avantages : « Marco a souvent des infos de première bourre », explique un journaliste, admiratif. Mais aussi leurs inconvénients. Par exemple quand des proches de « Mimi » se retrouvent épinglés dans l’actualité : « On a voulu faire un sujet sur Cyril Hanouna, mais on ne peut pas en parler car il est proche de Mimi Marchand », croit savoir  une journaliste longtemps affectée aux « longs formats » de la chaîne. Et de fait, le présentateur de « Touche pas à mon poste » sur C8 avait un jour qualifié la sulfureuse patronne de Bestimage de « seconde maman ».

PPDA, Hanouna, Michèle Marchand, les « intouchables »

« Pareil pour les accusations de viols à l’encontre de Patrick Poivre D’Arvor, poursuit une autre journaliste. On ne peut pas les traiter en profondeur car Claire Chazal – qui a eu un enfant avec PPDA – est une proche de Marc-Olivier Fogiel ». L’ancienne présentatrice star du 20h de TF1 serait en effet la marraine d’une des filles que Marc-Olivier Fogiel a adopté avec son époux. 

Selon Fogiel, les puissants réseaux de copinage dans lesquels il navigue constamment ne l’empêcheraient pas de respecter strictement la déontologie journalistique. Lors de la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur l’affaire M’Barki, (ce présentateur de BFMTV écarté après avoir accepté de l’argent pour diffuser clandestinement dans son journal de la nuit des contenus faisant la promotion du royaume du Maroc ou d’autres intérêts étrangers), Marc Olivier Fogiel déclarait aux parlementaires : « Je peux attester de la rigueur et du respect des règles déontologiques à BFM TV. Rechercher des informations et les vérifier c’est le cœur du métier de journaliste c’est toute la différence d’avec la communication. » Avant d’ajouter : « Notre matière première ce sont les faits quel que soit l’interprétation que tentent de nous donner nos sources, nous devons absolument ne pas plier à cette influence. » 

« Aucun esprit critique toléré, surtout quand il s’agit de Macron »

Pourtant, malgré ces déclarations devant les députés, beaucoup en interne estiment que la chaîne est perméable à diverses « influences ». Notamment Macronistes. Depuis 2016, Michèle Marchand s’occupe en coulisses de la communication « people » du couple Macron. Dans un « Complément d’enquête » très remarqué diffusé début 2022, mais désormais indisponible sur la plateforme de France Télévisions, Brigitte Macron la réconfortait par téléphone, s’offusquant qu’elle ait été emprisonnée quelques semaines à Fresnes à l’été 2021 suite à l’affaire Takieddine.

Mais à BFMTV, les errements du couple présidentiel feraient partie des sujets « tabou » : « Aucun esprit critique n’est toléré, surtout quand il s’agit de Macron, déplore un journaliste politique de la chaîne. Les conseillers presse de l’Élysée sont constamment au téléphone avec des cadres du service politique pour rectifier ou amender dans le quart d’heure des citations du gouvernement mis en bandeau à l’antenne. » 

Ces pressions, selon notre source, amèneraient une partie de la rédaction de la « première chaîne info de France » à appliquer « une autocensure » de fait. « Dans leurs éditos, les journalistes politiques recrachent trop souvent les éléments de langage de l’Élysée », déplore un journaliste. Contacté par téléphone, le conseiller presse de l’Élysée Jonas Bayard n’a pas souhaité donner suite.

« J’ai eu Brigitte »

Cette tendance de Marc-Olivier Fogiel à protéger la Macronie trouve de multiples illustrations. « Il pavane souvent en disant, le téléphone encore collé à l’oreille : « j’ai eu Brigitte », raconte un reporter de BFMTV. « Je passe beaucoup de temps à décrocher des choses et à faire en sorte, par exemple, que l’on puisse être dans l’avion avec Emmanuel Macron quand il revient de l’ONU ou qu’il nous annonce chez nous au lendemain du premier tour, que 65 ans n’est pas forcément l’âge sur lequel il restera pour la réforme des retraites », reconnaissait récemment Marc-Olivier Fogiel. 

Un lobbying auprès de l’Élysée qui aurait ses limites : « Brigitte, il l’a souvent au téléphone, mais on ne l’a jamais en plateau !» Tacle cruellement un journaliste. « Je n’ai pas réussi à l’y faire venir », confirmait récemment Marc-Olivier Fogiel dans TV Magazines, selon Gala.

 Selon lui, ses relations d’amitié avec l’épouse du Président de la République n’aurait aucun rapport avec la tendance de BFMTV à protéger la Macronie: « Moi, j’ai appris à être schizophrène, expliquait il récemment au buzz du Figaro. Je connais Brigitte Macron depuis très longtemps, ça n’empêche pas BFMTV d’être critique avec l’exécutif quand il le faut. Il ne faut pas tout mélanger ». Quelques jours plus tard, dans TV Magazines, le directeur général de BFMTV se voyait contraint de nier à nouveau toute complaisance vis-à-vis de l’exécutif : « Ce type de procès d’intention est tellement facile. Dans ma carrière, mes relations ou mes liens avec les gens ne m’ont jamais empêché de faire mon métier ». Faire son métier? Peut être, mais souvent avec complaisance. 

« Personne ne connaît Alexis Kohler »

Le 3 octobre dernier, un coup de tonnerre tonne dans le ciel Macroniste. Mais sur BFMTV, il va se transformer en vaguelette. Alors que le parquet national financier a mis en examen Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, pour « prise illégale d’intérêts », la « Première chaîne info de France » va s’escrimer durant plusieurs heures à regarder ailleurs. « L’info est tombée en début de journée et la hiérarchie a traîné des pieds pour la reprendre », se remémore un journaliste interrogé par Off Investigation. Il appelle alors un conseiller ministériel qui vient de raccrocher avec un confère des Échos. Propriété de Bernard Arnault (LVMH), un autre oligarque soutenant Emmanuel Macron, le premier quotidien économique français n’a pas non plus annoncé la mise en examen d’Alexis Kohler. « Vos confrères des Échos ont reçu des consignes », croit savoir le conseiller ministériel. À BFMTV, un collègue interroge la hiérarchie pour savoir pourquoi la mise en examen du secrétaire général de l’Élysée pour « prise illégale d’intérêts » n’est toujours pas reprise à l’antenne. « Ils ont répondu que personne ne connaissait Alexis Kohler », nous confie-t-il, encore estomaqué. 

« À BFM TV on préfère parler de Pierre Palmade […], ça plaît aux vieux. »

Un journaliste

Si la mise en examen du secrétaire général de l’Élysée est finalement annoncée dans l’après-midi sur le web, il faudra attendre le lendemain pour qu’elle soit reprise en plateau. « À BFM TV on préfère parler de Pierre Palmade ou de la guerre en Ukraine, ça plaît aux vieux », ironise-t-on amèrement du côté de la rédaction.
Pourquoi la mise en examen du « vice-président » – comme certains l’appellent – n’intéresse-t-elle pas BFM TV ? Interrogée sur cette question, la chaîne n’a pas souhaité faire de commentaires. Ni Philippe Corbé, l’ex-chef du service politique désormais directeur de la rédaction, ni Marc-Olivier Fogiel, directeur général, n’ont souhaité répondre aux questions d’Off Investigation

Une nomination pour rassurer l’exécutif ?

La direction du groupe Altice chercherait-t-elle à ménager les Macronistes? Pour comprendre ce qui se joue dans les coulisses de BFMTV, il faut remonter aux conditions de la nomination de Marc-Olivier Fogiel à la tête de la chaîne en avril 2019. 

Alors que les Gilets jaunes battent le pavé depuis cinq mois, et que la répression ordonnée par l’exécutif a déjà provoqué des milliers de blessés, dont certains éborgnés, la Macronie tente de revenir dans le jeu. « À ce moment-là, BFMTV est dans le viseur d’Alexis Kohler, se remémore pour Off Investigation un ancien conseiller élyséen. Ils mettent en scène une France à feu à sang et ça n’est pas acceptable. » 

À l’époque, Patrick Drahi, patron d’Altice et propriétaire de BFMTV, est embarrassé. Car en tant que propriétaire de SFR, ses relations avec l’exécutif se doivent d’être impeccables : le deuxième opérateur de télécoms français exploite en effet des licences soumises au bon vouloir du pouvoir politique. Propriétaire de la chaîne pro-israélienne I24News, Patrick Drahi a toutefois des alliés. Il est proche de Manuel Valls – notamment sur la question du conflit israélo-palestinien –, et Emmanuel Macron a toujours apprécié son « anticonformisme » mondain.

Des liens étroits entre Patrick Drahi et Emmanuel Macron

Les liens entre Patrick Drahi et Emmanuel Macron sont étroits. Le banquier Bernard Mourad, bras droit du patron d’Alice  durant toute son ascension, est un ami d’Emmanuel Macron depuis 2008. Dans des échanges de textos, il n’hésite pas à surnommer affectueusement le chef de l’État « mon lapin ». Fin 2016, Bernard Mourad quitte même le groupe de Patrick Drahi pour rejoindre l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron en qualité de conseiller spécial chargé de la collecte des fonds. Son frère, Jean-Jacques Mourad,  participe à l’élaboration du programme santé d’En Marche« À quelques semaines de la présidentielle de 2017, un confrère a croisé Patrick Drahi qui lui a lâché à propos de Macron : j’espère qu’il va gagner », nous a même confié une journaliste de BFMTV. 

Au printemps 2019, alors que la révolte des Gilets jaune a fait trembler sur ses bases le pouvoir macronien, Patrick Drahi cherche manifestement à envoyer un signal fort à Emmanuel Macron. Alain Weil, le patron fondateur de BFMTV, décide de faire remplacer Hervé Béroud par Marc-Olivier Fogiel. Surnommée le « Pitbull du PAF », la star de RTL est un homme de réseau. Surtout, c’est un très proche du couple présidentiel. 

Intime de la Première Dame, Fogiel connaît aussi très bien Emmanuel Macron depuis ses débuts en politique auprès de François Hollande en 2012. Depuis, les deux hommes se tutoient et s’apprécient. Et quand Emmanuel Macron démissionne de son poste de secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2014, Fogiel lui propose carrément de rejoindre son émission « On refait le monde » sur RTL. Emmanuel Macron y réfléchit sérieusement, avant d’être appelé par Manuel Valls à Bercy en août 2014. 

La chaîne a choisi un camp : celui de l’éxécutif

Lors de la dernière présidentielle, un épisode survenu au coeur de BFMTV illustre le proximité de Marco-Olivier Fogiel avec le Président de la République. Ce jour là, Fogiel visionne un reportage revenant sur « l’enfer des campagnes présidentielles ». Quand une scène évoque la sortie d’Emmanuel Macron, début 2017, moquant les rumeurs d’homosexualité courant sur son compte en affichant publiquement qu’il n’est « pas en couple avec Mathieu Gallet », Fogiel intervient : « Cela ne s’est pas exactement passé ainsi ». Sidérés, les journalistes de la chaîne comprendront qu’à l’époque, c’est à Marc-Olivier Fogiel qu’Emmanuel Macron avait confié le soin d’appeller Mathieu Gallet pour dédramatiser la situation ! En cette année 2019, la nomination de Fogiel à la tête de la « Première chaîne info de France » a donc tout pour rassurer l’exécutif. 

Depuis quatre ans, le casting porte ses fruits. Le traitement par BFMTV des manifestations contre la réforme des retraites, au cours de laquelle Marc-Olivier Fogiel a reconnu qu’en dépit des milliers de manifestants blessées en quelques mois par la police ou la gendarmerie, il demandait aux centaines de journalistes de BFMTV de ne pas employer l’expression « violences policières », montre à quel point la chaîne d’info en continu a choisi un camp : celui de l’exécutif. 

Mais cette ligne éditoriale risque de finir par affaiblir la « première chaîne info de France ». À force de relayer à tout bout de champs les éléments de langage des Macronistes, BFMTV est progressivement désertée par les 40% de téléspectateurs susceptibles de voter pour le Rassemblement National. Beaucoup regardent désormais CNews, qui est souvent la chaîne info la plus regardée en soirée. Fogiel dépassé par sa droite ? un destin qui rappelle furieusement celui d’un certain… Emmanuel Macron.

Des « Grands formats » diffusés en catimini ?

Sur BFMTV, Marc-Olivier Fogiel a le mérite de défendre les formats longs, même s’ils coûtent cher. Ces dernières années, les limites du modèle « hard news » ont également incité le groupe Altice à laisser se développer des « Grands formats », reportages de 30 à 52 minutes qui permettent, en théorie, d’approfondir certains sujets. Mais ils sont peu valorisés sur une antenne, qui privilégie, comme toutes les chaînes d’info, actualité chaude et réactivité : « C’est en cas de grave crise qu’on fait nos meilleures audiences », souligne un reporter. Résultat : le créneau du lundi soir, par exemple, pour laquelle travaillent une petite vingtaine de reporters, est mal identifié : les « longs formats » qui y sont diffusés n’ont pas de présentateur.trice attitré.e. Contactés.es, les responsables de cette prestigieuse case n’ont pas souhaité répondre aux questions de Off Investigation.

Depuis l’apparition de la télévision, on sait pourtant qu’une « incarnation », comme dit Marc-Olivier Fogiel, est très importante pour permettre au grand public d’identifier une émission, et sa ligne éditoriale. C’est pourquoi France 2 faisait incarner son émission de reportage phare, Envoyé Spécial, par les talentueux Bernard Benyamin et Paul Nahon, puis, Françoise Joly et Guislaine Chenu. C’est aussi pour cela que Complément d’Enquête, l’excellente émission de France 2 crée sous la houlette de Benoit Duquenne, a le même présentateur au fil des semaines (aujourd’hui Tristan Waleckx). Ou que Cash Investigation est incarnée par Élise Lucet. Même logique à TF1, ou l’émission 7 à 8 est incarnée depuis des années par Harry Roselmack.

Rien de tout cela à BFMTV. « C’est le présentateur de la case qui introduit nos docs auprès du public », regrette une ancienne reporter des « Grands formats ». En limitant les budgets des docs (quelques mois d’enquête contre un an pour un « Cash Investigation »), Altice s’assure en outre qu’aucun enquêteur.trice de BFMTV ne viendra bousculer trop en profondeur les puissants réseaux s’abritant souvent derrière les hommes et les femmes de pouvoir dont la télévision adore dresser le portrait.

En regardant BFMTV ces derniers mois, on était bien en peine de trouver un documentaire approfondi sur l’affaire PPDA. Accusé de viol par une vingtaine de femmes, l’ex « icône électroménagère » de TF1 a pourtant défrayé la chronique durant des mois. Pas plus que sur Michèle Marchand, la puissante amie de Marc-Olivier Fogiel qui gère en coulisses la communication « people » des Macron… et parfois celle de son ami Cyril Hanouna. Quand Complément d’Enquête avait réalisé le portrait de cette fascinante « papesse de la presse people », l’émission de France 2 avait pourtant battu tous ses records d’audience depuis… dix ans!

Cyril Hanouna, le célèbre trublion du PAF que certains à Canal + surnommaient « le caniche de Vincent Bolloré », et qui a la réputation d’être protégé par Michèle Marchand malgré des dizaines de mises en garde de l’Arcom pour des problèmes déontologiques, a lui aussi la chance d’échapper depuis plusieurs années à la curiosité des journalistes de BFMTV : « On a proposé plusieurs fois de réaliser son portrait, se souvient notre ancienne reporter qui a quitté BFMTV, mais la direction a systématiquement refusé ». Les confrères de Complément d’Enquête, eux, finalisent actuellement une enquête sur le célèbre trublion protégé par Vincent Bolloré.

Ces derniers mois, même Gérald Darmanin, pourtant ministre de l’intérieur, a été protégé de la curiosité des journalistes de la « première chaîne info de France » par Marc-Olivier Fogiel. À force de violenter des manifestants, lors de la révolte des retraites ou de la protestation contre les mégabassines à Sainte Soline (200 blessés), le ministre de l’intérieur se construit pourtant une image « d’homme fort » à la carrière politique pleine de promesses. En 2005, après avoir couvert de graves bavures policières qui avaient débouché sur les plus terribles émeutes que la France ait connu depuis mai 1968, son mentor Nicolas Sarkozy s’était envolé dans les sondages, et avait fini par accéder à l’Élysée.

Décourager les « longs formats » de la chaîne de s’intéresser à des personnalités qui défrayent la chronique ou qui se placent au centre de la vie politique, comme Gérald Darmanin, risque d’affaiblir la puissance éditoriale de BFMTV. Dans un paysage audiovisuel français contrôlé par une poignée de milliardaires ou par l’État, c’est jouable, car les autres chaînes sont souvent également réticentes à lancer des enquêtes approfondies sur des personnalités aussi influentes.

Mais à l’heure ou de plus en plus de médias indépendants se lancent dans l’investigation vidéo grâce à des financements citoyens, c’est risqué. En 2021, 4550 citoyens se mobilisaient pour financer Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée, notre série documentaire d’investigation sur le premier quinquennat Macron. Et en mai dernier, Blast, le média vidéo lancé par Denis Robert, initiait un reportage de 40 minutes sur Gérald Darmanin. Il a été confié à Yanis Mhamdi. Journaliste indépendant passé par France 24, Premières lignes Télévisions, ou Off Investigation, Mhamdi cartonne sur Youtube : 2,3 Millions de vues depuis 2021 pour son documentaire « Kohler, le scandale qui menace Macron » ou près d’un million pour son reportage « Macron, Kohler, le scandale des autoroutes » diffusé début 2023 sur Blast. Sur Youtube, les longs formats de BFMTV dépassent rarement les 300 000 vues. Nul doute qu’Emmanuel Macron et Gérald Darmanin ont du souci à se faire si les médias « mainstream » abandonnent l’investigation aux médias indépendants…

Jean-Baptiste Rivoire