Auditionnée le 17 mai par la commission des lois de l'Assemblée nationale pour la remise de son rapport annuel, la défenseure des droits, Claire Hédon, a pointé les ravages de la stratégie "tout numérique" privilégiée par l'État et ses administrations depuis quelques années.
Claire Hédon, le 17 mai, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Interpellée par une députée sur la raison pour laquelle son institution ne "soulignait pas les progrès" de l'administration, la défenseure des droits sourit : " Comment vous dire ? Nous sommes un observatoire de ce qui ne va pas. Nous ne sommes pas en capacité d'évaluer les progrès. La loi ne nous confie pas ce travail là. Donc oui, je suis désolé, je continue à voir ce qui ne va pas ". C'est dit tranquillement, sans agressivité, mais c'est clair. Face à une députée qui se mélange les pinceaux sur les rôles de chacun, Claire Hédon recadre, calmement. Bien qu'elle ait été nommée par Emmanuel Macron en 2020 (après auditions parlementaires), on sent que son institution administrative est relativement indépendante (sa présidente ne peut être révoquée ni effectuer plus d'un mandat). Son audition, qui a duré plus de deux heures, recèle de nombreux pics contre les dérives de l'État Macron.
Assez vite, face aux parlementaires, Claire Hédon en vient à évoquer l'un des phénomènes contemporains qui provoquent le plus d'atteintes structurelles aux droits : la dématérialisation de l'État. De nos jours, rares sont les administrations encore joignables par téléphone ou dans lesquelles on peut obtenir un rendez vous physique. De plus en plus, tout doit passer par internet, avec souvent aucune possibilité de joindre un humain, même en cas de problème. Une bureaucratie numérique qui fait des ravages dans un pays ou 25% des personnes vivant aux minima sociaux et 40% des non dipômés n'ont pas de connexion internet fixe à leur domicile, comme nous vous le racontions ici.
Un tiers de la population " éloignée du numérique "
Face aux députés, Claire Hédon pousse un coup de gueule contre cette déshumanisation de l'État. Après avoir concédé que bien sûr, la dématérialisation des services publics étaient parfois une " chance ", elle nuance opportunément : " Quand vous avez un tiers de la population qui est éloignée du numérique, on ne peut pas ne pas le prendre en compte". Et la défenseure des droits ajoute, ramenant les députés de la commission des lois au raz des paquerettes (là ou vivent la majorité des français) : " Chacun d'entre nous s'est retrouvé un jour en difficulté parceque le site buggue, qu'on ne parvient à joindre personne, ...". En quelques mots bien sentis, Claire Hédon a fait entrer la réalité que vivent des millions de français, le harcèlement par une bureaucratie numérique inhumaine, à l'Assemblée nationale. Un ange passe. on se surprend à se demander comment réagissent ces députés, pour beaucoup macronistes (comme Sacha Houlié, qui préside la commission des lois), à ces mots. Font ils faire leurs démarches du quotidien par leurs assistants parlementaires ? par des secrétaires particuliers ? comment croire qu'ils puissent, eux, passer des heures à tenter de comprendre le jargon du site de la CAF, à gérer les messages automatisés de Pôle emploi, ou à s'y retrouver dans le maquis fiscal français ?