Vers une protection policière pour la juge du procès de Marine Le Pen

Bénédicte de Perthuis, la magistrate qui a présidé le procès des assistants parlementaires du FN (ex-RN) | photographie DR

Selon nos informations, le ministère de l’Intérieur étudie « de près » la possibilité d’une protection policière pour la juge Bénédicte de Perthuis, visée par des menaces depuis son verdict dans l’affaire des assistants parlementaires d’eurodéputés FN (ex-RN). Verdict à l’issue duquel Marine Le Pen a notamment été condamnée à cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire de cette peine (ce qui l’écarte pour l’heure de la course à la présidentielle de 2027).

La juge Bénédicte de Perthuis est devenue une cible pour le Rassemblement national et ses alliés après avoir condamné Marine Le Pen à quatre ans de prison dont deux ans ferme aménageable sous bracelet électronique, mais aussi et surtout, à cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics (ce qui l’empêche à ce stade de se présenter à la prochaine élection présidentielle). Selon nos informations, la magistrate pourrait être « très rapidement » placée sous protection policière. « C’est étudié de près depuis le verdict, confie à Off Investigation une source haut placée au ministère de l’intérieur. Il peut s’agir d’une protection provisoire en attendant une évaluation qui s’appréciera forcément sur un temps un peu long », ajoute notre interlocuteur.

Des patrouilles de police autour du domicile de la magistrate

Comprendre, la magistrate pourrait se voir flanquer d’une équipe de policiers du Service de la protection (SDLP) en charge de la protection des personnalités, avant même une évaluation de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). Ce service, qui dépend de la DGSI (ex-Renseignements généraux), « analyse le degré de menace à l’égard d’une personnalité, qu’elle classe en plusieurs catégories, allant de « T1 » (menace avérée et imminente) à « T4 » (pas de menace) », explique un bon connaisseur de la maison. En attendant, la préfecture de police fait tourner des patrouilles depuis hier soir devant le domicile de la juge Perthuis, a-t-on appris de sources concordantes. De quoi permettre au ministère de l’Intérieur d’éviter les critiques récurrentes sur un manque de protection accordée aux magistrats menacés ?

La condamnation en première instance de Marine Le Pen à quatre ans de prison dont deux ferme sous bracelet électronique et, surtout, à une peine d’inéligibilité de cinq ans, a suscité le malaise au plus haut niveau de l’Etat, chez François Bayrou, qui sera jugé en appel pour la même infraction (Off Investigation, 31 mars 2025) mais surtout la fureur du RN qui s’est lâché contre la juge Perthuis sitôt le verdict connu.

Précisons que le verdict en question a été rendu selon un protocole collégial auquel ont participé les trois juges en charge du dossier, et n’est donc pas le fruit d’une décision unilatérale d’une seule et même personne. « Ce qui est dingue, c’est que la peine fait oublier la culpabilité. Elle écope de 4 ans de prison. Ce n’est pas rien. [Marine Le Pen] clame son innocence alors que trois juges ont retenu 4 ans de prison contre elle. Pas un, mais trois. », commente le constitutionnaliste Jean Philippe Derosier pour Off Investigation. Y-a-t-il eu unanimité des juges en question pour ce verdict ? « On ne sait pas, c’est le secret du délibéré. Mais le principe est que, justement, la décision est rendue par la formation, pas par des juges, c’est-à-dire par une collégialité et non par des individualités additionnées », analyse le constitutionnaliste.

Une « intrusion dans le jeu électoral », a déclaré Louis Aliot lui aussi condamné par le tribunal pour les mêmes faits. Certains ont même appelé au soulèvement. « Nous sommes dans la dictature des juges, a lancé le député Philippe Schreck, avocat de profession. Trois mollahs du droit ont supprimé la démocratie. Face à la dictature, le peuple a le devoir de se soulever »; tandis que Jordan Bardella a estimé que c’était la « démocratie française » qui était « exécutée » tout en hurlant à la « dictature des juges ».

Marine Le Pen charge la juge Bénédicte de Perthuis

Mais la charge la plus violente est venue de Marine Le Pen elle-même. La députée du Pas-de-Calais a mis en cause directement la juge Perthuis lors de son passage au 20H de TF1 ce lundi 31 mars : « J’ai parfaitement compris que la présidente rendait une décision politique », a-t-elle affirmé. « L’État de droit a été totalement violé par la décision qui a été rendue », car elle a « empêché un recours effectif, ce qui est un droit » et parce que la présidente du tribunal « considère que se défendre justifie l’exécution provisoire », a enchainé Marine Le Pen, reprochant l’absence de « motivations » à la décision rendue par la présidente de la tribunal. Un mensonge flagrant, tant la juge Perthuis a au contraire longuement développé lundi pendant trois heures les 152 pages de jugement qui ont poussé le tribunal à la condamner.

Plus étonnant, la chaîne de Martin Bouygues qui a invité Marine Le Pen a poussé le vice jusqu’à afficher la photo de la magistrate pour illustrer une phrase prononcée lors du verdict dans un reportage sur le sujet. Marine Le Pen a ensuite pris à témoin « les millions de Français (qui) sont indignés en voyant qu’en France, des juges ont mis en place des pratiques qu’on croyait réservées à des pays autoritaires. » Sans doute s’est-elle sentie portée par la vague d’indignation que sa condamnation a suscitée à l’international, du Kremlin à Donald Trump, donnant une résonance mondiale à ce procès et amplifiant par la-même les menaces contre la juge Perthuis.

« Il faut placer ces magistrats sous protection policière, mieux vaut prévenir que guérir »

Un conseiller de l’exécutif

Sur les réseaux sociaux, une avalanche de commentaires hostiles visent la magistrate, parfois qualifiée de « juge rouge » ou encore de « macroniste » et ce, alors qu’elle n’a jamais été encartée, comme le rappelle l’AFP. Le média d’extrême droite « Frontières » a exhumé une interview de la magistrate au podcast Tootak, datant de 2020, censée prouver l’orientation politique de Bénédicte de Perthuis. Ancienne consultante au sein du cabinet d’audit Ernst & Young, celle-ci confiait avoir eu « une révélation » en suivant la carrière d’Eva Joly, l’emblématique juge des affaires politico-financière des années 90 à 2000 (lire encadré). Il n’en faut pas plus à certains internautes pour crier au « complot politique », sur le modèle du RN. Pourtant, la magistrate a l’habitude de juger des personnalités politiques. Il y a eu l’affaire Wendel en 2022, Olivier Dussopt en 2023… « Cela peut être un peu intimidant au départ, reconnaissait-elle alors. La seule réponse par rapport à ça, c’est la compétence. Il faut connaître le dossier. »

Inquiétudes au plus haut niveau

Cette vague de haine suscite en tous cas l’inquiétude au plus haut niveau de l’appareil judiciaire. Fait rare, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a exprimé lundi dans un communiqué son « inquiétude face à des réactions virulentes ». Tout comme le premier président de la Cour d’appel de Paris Jacques Boulard, sorti de sa réserve pour dénoncer les menaces à l’égard des magistrats: « La décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris ce jour suscite (…) des attaques personnelles à l’encontre des trois magistrats composant la collégialité ». « Dans un État de droit démocratique, la critique d’une décision de justice ne peut en aucun cas s’exprimer par des menaces formulées à l’égard des magistrats », ajoute le chef de juridiction. « Il faut placer ces magistrats sous protection policière sans tergiverser, mieux vaut prévenir que guérir », assume un conseiller de l’exécutif, qui dénonce « un vent mauvais qui souffle sur la justice et les juges. »

Le ministre de la justice Gérald Darmanin a lui aussi posté un message sur X pour dénoncer des « menaces inacceptables »« C’est le minimum syndical », s’agace un bon connaisseur de la place Vendôme sous le sceau de l’anonymat, rappelant que, 10 jours avant d’être nommé Garde des Sceaux, l’ex-ministre de l’Intérieur avait déclaré qu’il « serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français » à la mi-novembre, sur le même réseau social. Une forme de « pression », selon notre interlocuteur. Reste que, pour la première fois, Gérald Darmanin avait aussi dévoilé des chiffres précis sur le nombre de magistrats menacés en France : « 150 magistrats sont d’une manière ou d’une autre menacés directement, et notamment par des narcobandits », déclarait-t-il, sur Europe 1-CNews, le 12 mars. Le ministère de la Justice a aussi créé un bureau tout spécialement dédié aux cas de personnels menacés à l’été 2024 (Le Monde, 23 mars 2025).

« Ce bureau a pour but d’objectiver les menaces reçues par les personnels et notamment les magistrats, de proposer une protection fonctionnelle et de transmettre les éléments aux services concernés », nous précise le ministère de la Justice.

Bénédicte de Perthuis, une juge respectée pour son impartialité

La juge Bénédicte de Perthuis accède à une notoriété mondiale en condamnant Marine Le Pen. Cette magistrate de 63 ans, rompue aux affaires politico-financières, a pris une décision historique en condamnant la patronne des députés du RN et en l’empêchant pour le moment de se présenter à la présidentielle en 2027.

Rompue aux affaires politico-financières

Diplômée en expertise comptable, Bénédicte de Perthuis a débuté sa carrière dans le cabinet d’audit Ernst & Young, avant de passer le concours de la magistrature à 37 ans, inspirée par l’emblématique juge d’instruction financière Eva Joly, devenue plus tard femme politique.

Elle a d’abord été juge aux affaires familiales au Havre. Puis elle a rejoint la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, spécialisée dans les affaires financières, comme juge assesseure. Elle a par la suite été magistrate placée, c’est-à-dire mobile, en région parisienne, puis, pendant un an, juge des libertés et de la détention (JLD, les magistrats qui autorisent ou pas des mesures privatives de liberté), comme le rappelle Ouest-France, citant l’AFP. C’est par la suite, à la tête de cette 11e chambre, qu’elle a présidé le procès des dirigeants d’EADS pour délits d’initiés et celui des primes en liquide au ministère de l’Intérieur, à l’issue duquel Claude Guéant est condamné en novembre 2015.

La magistrate redevient ensuite juge d’instruction, cette fois au pôle financier. Les affaires sensibles s’enchaînent. En avril 2022, elle condamne l’ex-président du Medef Ernest-Antoine Seillière pour une gigantesque fraude fiscale dans l’affaire Wendel et, en janvier 2024, c’est encore elle qui prononce cette fois la relaxe du ministre Olivier Dussopt, jugé pour favoritisme (et plus tard condamné en appel).

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