Viol d’une femme de chambre : l’ex-directeur de l’hôtel Ibis Batignolles condamné

femme de chambre victime d'un viol face à ses soutiens
De dos, Cathy (femme de chambre victime d’un viol en 2017) face à ses soutiens, attend le verdict des juges après sept ans de procédure, le 11 décembre 2024 | Photographie Clarisse Feletin

L’ancien directeur d’un des plus gros hôtels Ibis de Paris vient d’être condamné à sept ans de prison pour le viol d’une femme de chambre dans son établissement en avril 2017. L’hôtel en question est connu pour l’incroyable lutte que ses femmes de ménage ont mené pendant 22 mois, à partir de 2019, pour obtenir de meilleures conditions de travail.

Que s’est-il passé le 19 avril 2017 dans la chambre 169 de l’hôtel Ibis des Batignolles, un des plus gros établissements hôteliers de Paris, à l’époque propriété du groupe Accor ? Trois jours d’audience à la dixième chambre criminelle du Palais de Justice ont permis de lever le voile et de juger le directeur de l’établissement, Jean-Philippe C., accusé de viol sur une femme de chambre que nous prénommerons Cathy. « Je travaille pour chercher le pain que je donne à mon fils », aime à dire cette mère de famille.

Au quotidien, dans l’hôtel, elle est en contact avec Jean-Philippe. C. Décrit comme charmeur, il est cadre dirigeant de l’hôtel qui négocie les contrats de sous-traitance. Il avait la curieuse et étonnante habitude de descendre dans les chambres, « apportant de l’eau et des draps » pour aider les femmes de chambre à faire le ménage, selon Rachel Kéké, ex-employée de service de l’hôtel, devenue députée (LFI, 2022-2024).

Venue en tant que témoin, l’ancienne élue du Val-de-Marne et collègue de travail de Cathy, avoue avoir été d’abord surprise par la gentillesse de ce directeur d’hôtel. Après le drame, deux ans plus tard, elle deviendra le fer de lance d’une lutte historique des femmes de chambre de ce même établissement. En 2019, pendant que son amie Cathy sombre dans la dépression, et qu’elle continue de la soutenir, ne supportant plus la cadence de quatre chambres à l’heure, ni les humiliations, Rachel Kéké et ses 33 collègues vont entamer un combat qui va durer 22 mois (huit mois de grève puis 14 d’activité partielle), être très médiatisé, et se solder par une victoire.

Mais revenons à ce matin- là, du 19 avril 2017, les caméras des couloirs du premier étage de l’hôtel filment le directeur de l’hôtel, Jean-Philippe C., ouvrant et refermant les portes des chambres rapidement. Il entre la tête dans la chambre 168, sans frapper, où une cliente se retrouve nez à nez avec lui. Puis il entre dans la 169 et ferme la porte.

Son avocate Maître Solange Doumic, indique à l’audience que cet « homme devenu directeur d’hôtel à la force et au mérite, qui se donne à fond dans son métier » cherchait Cathy : « Elle était belle et dégageait quelque chose, une force. » On le voit donc entrer dans la chambre où elle est en train de faire le lit. L’avocate tente d’expliquer qu’« il y a beaucoup d’êtres humains qui sont plus excités par leur propre excitation que par celle de l’autre ».

Porte fermée, rideaux tirés

La suite se passe très vite. Le directeur de l’hôtel ferme la fenêtre, tire les rideaux et viole la femme de chambre. Les vidéos des caméras du premier étage montrent qu’elle sort la première pour fuir, et se réfugie dans la chambre voisine où une dame lui ouvre la porte. Lui sort en courant les fesses à l’air, habillé seulement par sa chemise. Il fait appeler la police immédiatement sous prétexte qu’il est tombé dans un traquenard et a été menacé de mort avec un couteau par Cathy.

Les enquêteurs ne retrouveront jamais le couteau mais la placent immédiatement sur écoute pendant un mois. Son téléphone va seulement permettre de mesurer à quel point elle est sidérée par ce qui lui est arrivé et meurtrie. Des analyses médicales révèlent de multiples ecchymoses à l’intérieur des cuisses et une lésion au périnée, typique des agressions sexuelles.

Une femme de chambre en dépression pendant que son violeur quitte l’entreprise à l’amiable

Pendant qu’elle subit une grave dépression, dont elle n’est toujours pas sortie, lui bénéficie de la cellule de soutien psychologique du groupe Accor puis quitte le groupe dans le cadre d’une rupture conventionnelle, à l’amiable, d’après un syndicaliste qui a souhaité garder l’anonymat.

 « Mon viol a été déclaré et reconnu comme accident du travail, mais je n’ai jamais eu de réaction du groupe Accor malgré la lettre que je leur avais envoyée », explique Cathy qui regrette le silence de la multinationale. Son employeur direct, l’entreprise de nettoyage, STN, fondé par les frères Atlan, a au départ contesté les faits avant de lui offrir trois séances de psychothérapie. Depuis sept ans, elle n’a pas pu retravailler. Elle est toujours en arrêt de travail et gagne moins de 1 000 euros pour vivre avec sa famille.

Pendant les sept ans de procédure, le directeur d’hôtel Jean-Philippe C. a maintenu pour se défendre qu’il était victime d’un complot syndical mené par Cathy, qui n’avait pourtant jamais eu aucune responsabilité syndicale. Au terme de l’instruction, les magistrats ont renvoyé l’affaire au motif du viol mais sans retenir la circonstance aggravante du lien hiérarchique entre l’auteur des faits et la victime. La femme de chambre travaillait dans le cadre d’un contrat de sous-traitance du nettoyage. Pourtant, au quotidien, elle était bien, comme l’affaire le révèle, en contact direct avec le directeur de l’hôtel.

Confronté aux vidéos, l’auteur du viol demande pardon à sa victime

Au deuxième jour du procès, face aux vidéos, face à elle et à son immense souffrance, il a reconnu les faits, lui a demandé pardon et a déclaré : « J’ai pris conscience , j’ai évolué au vu de ce qui s’est passé ». Les magistrats de la 10ème chambre criminelle, l’ont condamné pour ce crime. Le procureur avait requis huit ans de prison ferme. Au final, la cour a jugé « cet acte de pénétration par contrainte physique et morale », en tenant compte du fait que son auteur n’avait aucun antécédent judiciaire.

Jean-Philippe C. a été condamné à sept ans de prison ferme et mandat de dépôt. Il a donc été incarcéré immédiatement sitôt l’audience terminée. « Cela lave l’honneur de Cathy qui été accusée de mentir ou de faire cela pour de l’argent. Elle a beaucoup souffert seule », confie Rachel Kéké. Pour Cathy, c’est un soulagement en demi-teinte : « J’aurai préféré qu’il ait huit ans de prison car cela fait sept ans et huit mois que je suis en dépression. Si la victime avait été une blanche, il aurait pris plus car il y avait toutes les preuves du viol. »

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