Violences sexuelles dans le cinéma
Quand les acteurs se planquent

L’acteurJean Dujardin participant à la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde de Rugby, au stade de France, à Saint-Denis, le 8 septembre 2023 (Photo MARTIN BUREAU / AFP)

Convoqués lundi 10 mars devant la commission d’enquête, plusieurs acteurs réputés n’ont accepté de témoigner, parfois avec réticences, qu’à huis clos.

Des acteurs qui boudent les caméras, ce n’est pas banal. C’est pourtant ce qui est prévu ce lundi 10 mars à l’Assemblée nationale. La chambre basse va accueillir rien de moins que l’acteur oscarisé Jean Dujardin mais aussi Gilles Lellouche, Pio Marmaï, le nouveau chouchou du cinéma français Pierre Niney et l’acteur populaire des « Tuches », Jean-Paul Rouve. Ils sont convoqués à l’Assemblée par la commission d’enquête sur les violences dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Sans qu’aucune accusation de violences ne les vise à notre connaissance, ces acteurs sont amenés à témoigner devant la commission en tant que figures d’un secteur particulièrement touché par cette problématique. Mais, à la différence de la plupart des auditions de cette commission, elle ne sera ni filmée, ni diffusée pour le public.

« Je regrette qu’il n’y ait pas de diffusion filmée de l’audition »

Sandrine Rousseau, présidente de la Commission d’enquête sur les violences dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.

Tous les acteurs ont exigé et obtenu le huis clos pour cette audition devant les députés. En cause, la crainte d’une mauvaise publicité, selon nos informations. « L’équipe de ‘Quotidien’ a appelé leurs agents en leur disant qu’ils allaient suivre les auditions et ils ont tous flippé », témoigne une source parlementaire à Off Investigation. Certains acteurs auraient même manifesté leur réticences à s’exprimer. « Ils ont fait durer le suspens jusqu’au dernier moment », s’agace un membre de la commission sous le sceau de l’anonymat. « Les commissions d’enquête ne sont pas à la carte », rappelle Sandrine Rousseau, présidente de la commission, sollicitée par nos soins. La députée écolo n’a pas apprécié le refus de l’essayiste Caroline Fourest de se présenter devant l’instance. « Je n’en vois pas l’intérêt », réagissait l’essayiste auprès de Libération, qui a révélé ce faux bond.

La députée Sandrine Rousseau, déclare qu’elle « regrette qu’il n’y ait pas de diffusion filmée de l’audition. » Les élus ont tout de même réussi à arracher le principe d’un compte rendu, qui permettra au public de suivre les échanges consignés par écrit.  

Sandrine Rousseau rappelle qu’il y a eu d’autres auditions à huis clos, notamment celle des actrices Juliette Binoche, Virginie Efira, Nina Meurisse et Noémie Merlant, le 16 novembre 2024« Pour ces femmes, qui sont ultra-célèbres, c’est une façon de se protéger », reconnaît-elle. En l’absence de caméras et de comptes rendus, ces actrices ont pu témoigner en toute confiance, certaines que leurs propos ne seraient pas scrutés par les médias et repris sur les réseaux sociaux. « Elles ont raconté des histoires très dures et violentes, on a tous halluciné, on s’est cramponné à nos sièges », affirme un autre membre de la commission, qui refuse d’en dire plus. Et pour cause, l’ordonnance de 1958 qui fixe les conditions des commissions d’enquête offre une garantie de confidentialité aux personnes entendues au cours d’une audition à huis clos. Il est interdit de faire état d’une information issue de travaux non publics « pendant une durée de vingt-cinq ans ». La violation de cette interdiction est passible « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », selon le code pénal.

« Les hommes de pouvoir du cinéma déclarent souvent l’inverse des propos sexistes qu’ils ont pu tenir par le passé »

Un membre de la Commission

Un autre membre de la commission se dit frappé par « la différence d’attitude » entre les acteurs masculins et leurs homologues féminins.  « On a de grandes actrices qui arrivent toutes tremblantes devant nous alors que ça fait que des semaines qu’elles ont appelé avant pour préparer et baliser l’audition. Mais les hommes de pouvoir du cinéma arrivent très bien préparés, déclarant souvent l’inverse des propos sexistes qu’ils ont pu tenir par le passé. Souvent, on sent qu’ils ont tout préparé avec un avocat », soupire notre source. Les acteurs Jean Dujardin et Gilles Lellouche notamment, ont-ils anticipé des critiques lors de leur passage devant la représentation nationale ?

Le premier a défendu bec et ongles les réalisateurs Woody Allen et Roman Polanski, malgré les accusations de viol et d’agression sexuelle les visant, dans le sillage de Metoo (Le Parisien, 1er mars 2020). Polanski a même obtenu le César du meilleur réalisateur en 2020 pour son film « J’accuse », dans lequel joue Jean Dujardin. Ce qui avait conduit Adèle Haenel, connue pour son engagement contre les violences sexuelles, à quitter la salle Pleyel où se déroulait la soirée.

Le second, Gilles Lellouche, a joué avec Jean Dujardin dans le film « Les infidèles », dont il est aussi co-réalisateur, sorti en 2012. Une histoire sur l’infidélité au masculin où s’affichent des trompeurs totalement décomplexés et qui donne aux femmes le mauvais rôle. Les affiches du film avaient d’ailleurs été retirées en catastrophe, accusées de véhiculer une image dégradante de la femme.

Constituée le 22 octobre 2024, la commission d’enquête sur les violences au cinéma a été relancée avec le soutien de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, après la dissolution décidée par Emmanuel Macron en juin dernier. Elle fait suite au témoignage de l’actrice Judith Godrèche, qui a porté plainte pour viols sur mineure contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. L’actrice a témoigné publiquement, comme plusieurs de ses consœurs, Sara Forestier, Anna Mouglalis et d’autres figures du cinéma français. 

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