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Enquête | Washington, guerres secrètes (2/2). Brutalement terrassée par Donald Trump et Elon Musk, l’USAID a longtemps financé des médias occidentaux, y compris sur le Vieux continent. Depuis des décennies, l’agence s’est imposée comme un rouage clé de la machine de propagande pro-américaine à l’échelle mondiale.
La fermeture de l’USAID décidée par l’administration Trump a jeté une lumière crue sur une autre de ses missions méconnues : le financement de médias, y compris en Europe. Un internaute, Peter Sweden, pose la question qui fâche sur X : « Pourquoi personne dans les médias grand public européens ne parle de la corruption et du scandale à l’USAID ? S’il n’y avait pas eu les réseaux sociaux, personne ne l’aurait su ? » À quoi Elon Musk répond sans détour : « Parce que ces médias ont été payés par l’USAID et qu’ils ne veulent pas avouer leurs crimes. »
L’accusation est brutale, et déclenche une véritable traque numérique. Les utilisateurs de X s’emploient à identifier les bénéficiaires de ces financements.
Formez vos unités et traquez le pognon de USAID qui arrose la France depuis des années !
— ThinkerView (@Thinker_View) February 7, 2025
La chasse est ouverte !
HUNTERS NO LIMITS ! pic.twitter.com/Vxc1t3EK8N
Politico et le New York Times injustement accusés
Premières cibles de cette chasse aux subventions : Politico et le New York Times. Selon le site usaspending.gov, qui permet de tracer les flux financiers de l’administration fédérale, Politico aurait perçu 34,3 millions de dollars, et le New York Times 3,1 millions, dont une fraction provient de l’USAID. Le 47ème Président des Etats-Unis s’enflamme : « ON DIRAIT QUE DES MILLIARDS DE DOLLARS ONT ÉTÉ VOLÉS A l’USAID, ET DANS D’AUTRES AGENCES, POUR ALLER PRINCIPALEMENT DANS LES MEDIAS « FAKE NEWS » EN GUISE DE PAIEMENT POUR ÉCRIRE DES BONNES CHOSES AU SUJET DES DÉMOCRATES »
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) February 6, 2025
Ces informations ont rapidement été démenties par les intéressés (ici, ici et là) : les sommes en question concernent en réalité des abonnements à Politico Pro, un service d’analyse des politiques publiques utilisé par l’administration fédérale. Quant au New York Times, la situation est similaire.
— NYTimes Communications (@NYTimesPR) February 6, 2025
Reuters dans le viseur de Musk
Elon Musk s’attaque ensuite à l’agence Reuters, en postant que « Reuters a été payé des millions de dollars par le gouvernement américain pour faire de la « tromperie sociale à grande échelle ». C’est littéralement ce qui est dit sur l’ordre de commande ! Quelle bande d’escroc, wow ! », en partageant un visuel du site de dépenses publiques de l’administration américaine.
Reuters was paid millions of dollars by the US government for “large scale social deception”.
— Elon Musk (@elonmusk) February 13, 2025
That is literally what it says on the purchase order! They’re a total scam.
Just wow. https://t.co/GGxoVQSwN8
Au vu de l’acronyme du contrat (LSD) et du commanditaire (US Air Force) on se figure qu’il s’agit là d’un programme de lavage de cerveau ! La prestation existe bel et bien, et correspond à un contrat remporté par Thomson Reuters auprès du Département de la Défense, en collaboration avec la DARPA (agence de recherche du Pentagone) et l’US Air Force. Le contrat précise que « Active Social Engineering Defense (ASED) Large Scale Social Deception (LSD) » correspond à un programme pour améliorer la cybersécurité des États-Unis en développant des systèmes capables de détecter, analyser et contrer les menaces exploitant la psychologie humaine, comme par exemple le phishing par exemple (Daily mail ; Anadolu). La branche s’occupant de ce genre de prestations serait séparée de l’agence de presse Reuters, et n’aurait théoriquement pas d’incidence sur sa ligne éditoriale.
La BBC éclaboussée par le scandale
Enfin, le scandale a éclaboussé jusqu’à la BBC, qui a révélé que l’USAID était le deuxième plus gros donateur pour sa branche « BBC Media Action », dont l’objectif est de soutenir les médias locaux dans les pays en développement et d’aider à former des journalistes.
« Comme de nombreuses organisations internationales de développement, BBC Media Action a été affectée par la suspension temporaire du financement du gouvernement américain, qui représente environ 8 % de nos revenus pour l’année 2023-2024. Nous faisons tout notre possible pour minimiser l’impact sur nos partenaires et les populations que nous servons », peut-on lire dans un communiqué publié le 4 février 2025 par le média britannique.
6,6 millions de dollars de subsides américains pour l’AFP
L’Agence France-Presse (AFP), pourtant financée par l’État français, a perçu 226 000 dollars de l’USAID entre 2010 et 2024, et jusqu’à 6,6 millions si l’on inclut l’USAGM (Agence des États-Unis pour les médias mondiaux).
Off-Investigation a contacté l’AFP, qui nous précisé que plusieurs agences du gouvernement américains sont abonnées à un ou plusieurs fils photo ou vidéo de l’AFP, et ce en plusieurs langues. Le principal financement vient effectivement de l’USAGM pour 90%, et concerne les revenus générés par les clients des différents fils d’actualité AFP. Quant à l’USAID, elle achetait parfois des photos de l’AFP pour illustrer des sujets relatifs à l’humanitaire. « L’USAID et l’USAGM sont des clients au même titre que les préfectures et ministères français qui s’abonnent à nos fils d’actualité », nous a précisé l’AFP.
Internews Network prend en main des médias indépendants
Si l’USAID déploie tout son génie en matière de soft power, c’est moins dans le financement direct que dans son aptitude à tisser des réseaux d’influence. Parmi eux, « Internews Network », structure peu connue du grand public, mais dont le rôle dans l’ingénierie médiatique mondiale est considérable. Créée en 1986 et financée à hauteur de 472,6 millions de dollars par l’USAID, elle se présente comme un soutien aux médias indépendants dans les pays en développement et les zones de conflits. Une noble ambition en apparence, mais qui s’accompagne de bien des ambiguïtés.
À la fin des années 1980, la Guerre froide s’achève sur l’effondrement du bloc soviétique. Pour Washington, il ne s’agit pas seulement de célébrer une victoire, mais d’organiser l’après-guerre idéologique. David Hoffman, alors directeur d’Internews Network, entrevoit une opportunité : détacher les nouveaux États indépendants de l’influence de Moscou en construisant un réseau médiatique autonome, affranchi des canaux d’information russes. L’idée séduit Washington, et notamment Jeanne Bourgault, cadre influente de l’USAID dans les années 1990, qui lui obtient les financements de l’agence.
💥 L’HUMANITAIRE, FAUX NEZ DE LA CIA
— Off Investigation (@Offinvestigatio) February 25, 2025
🎞️ Dans le docu « Etats-Unis : à la conquête de l’Est » (Manon Loizeau, 2005), des responsables de l'USAID prônent l'impérialisme 🇺🇸
✒️ Le 1er volet de notre enquête « Washington, guerres secrètes »⤵️
🔎https://t.co/V0OWRcwPuz
🧶1/3 pic.twitter.com/quFQRSMkuJ
Il ne manquait plus que George Soros !
L’Open Society de George Soros emboîte le pas, renforçant les liens entre Internews et les structures de l’influence américaine. Dès lors, l’organisation ne cessera de croître, s’implantant progressivement partout où les intérêts stratégiques des États-Unis l’exigent. Dans ses rapports internes, Internews se félicite d’un bilan impressionnant :
- – 4 291 chaînes de télévision et radios partenaires,
- – Plus de 9 000 journalistes formés chaque année,
- – 4 799 heures de programmes produits ou facilités,
- – Un auditoire estimé à 396 millions d’auditeurs et 382 millions de téléspectateurs.
Après 6 ans à l’USAID, c’est désormais Jeanne Bourgault qui dirige Internews depuis 2001.
L’USAID jette son dévolu sur l’Ukraine
Dans un communiqué protestant contre la fermeture de l’USAID, Reporters Sans Frontières (RSF) nous apprend que neuf médias ukrainiens sur dix bénéficient d’aides internationales, l’USAID étant leur principal donateur. L’histoire récente illustre à quel point cette influence fut déterminante.
Le journaliste Lee Fang a mené une enquête approfondie sur la teneur des réseaux Internews en Ukraine, et sur leur pression pour faire adopter la controversée loi sur les médias qui accorde au gouvernement, via un conseil contrôlé par Volodymyr Zelensky, le pouvoir de fermer des médias sans décision de justice. Une disposition qui a suscité l’indignation de plusieurs structures, notamment des fédérations internationale et européenne des Journalistes (FIJ et EFJ) et du Comité pour la Protection des Journalistes, qui dénoncent une atteinte grave aux libertés journalistiques.
Or, cette loi a été soutenue et promue par plusieurs organisations financées par Internews et l’USAID :
- – Detector Media (35% de son budget vient d’Internews),
- – Centre pour la Démocratie et l’État de Droit (76% de son budget vient d’Internews),
- – Le Laboratoire de Sécurité Numérique,
- – La Plateforme des Droits de l’Homme,
- – Internews Ukraine, qui a signé la déclaration de soutien à la loi.
Un rapport du National Endowment for Democracy (NED) co-écrit avec Detector Media, a présenté la loi comme étant largement soutenue par la société civile, alors que les groupes favorables étaient en grande partie financés par les Etats-Unis via l’USAID et Internews. Fait notable, Detector Media fait également partie du réseau Zinc Network, agence de communication basée à Londres et touchant des subventions de l’USAID, notamment huit millions de dollars pour « avoir exécuté un programme d’intégrité de l’information et mis en place une résilience sociétale contre la propagande » en Géorgie. Zinc Network est un « partenaire clé des Etats-Unis et du Royaume-Uni dans la guerre de l’information en support de Kiev » selon Intelligence Online.
Un document interne de l’Open Information Partnership, financé par le Foreign Office britannique et partenaire du Zinc Network, donne quant à lui une définition extensive de ce qu’est la désinformation russe : elle inclut du contenu faux ou trompeur mais aussi « des informations vérifiables qui sont déséquilibrées ou biaisées, amplifient ou exagèrent certains éléments à des fins d’effet, ou utilisant un langage émotionnel ou incendiaire pour produire des effets correspondant aux récits, objectifs ou activités du Kremlin. » Le rapport continue en accusant des experts britanniques et américains qui « présentent l’Occident comme étant divisé, corrompu ou malveillant » de faire partie du système de désinformation russe.
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Dans cette définition floue et élargie, on a tôt fait de qualifier de désinformation russe tout ce qui n’est pas ouvertement favorable à la continuation de la guerre.
Quand Washington voulait dissuader Kiev de négocier avec Moscou
Lorsque Volodymyr Zelensky accède au pouvoir en 2019, il le doit en grande partie à une promesse d’apaisement avec la Russie (Le Figaro, décembre 2019). Mais cette promesse ne plaît pas à tout le monde. L’« Ukraine Crisis Media Center », un organisme financé par l’USAID, la NED et l’ambassade des États-Unis, publie alors une tribune de la société civile, signée notamment par Internews Network et Detector Media, qui fixe les lignes rouges que le président ne doit pas franchir :
- – Interdiction de remettre en cause les accords contractés avec le FMI,
- – Interdiction de négocier directement avec la Russie,
- – Maintien du cap vers l’adhésion à l’UE et à l’OTAN,
- – Renforcement de l’identité nationale, y compris en matière linguistique, éducative et religieuse, en rupture avec la Russie,
- – Aucune intégration de partis pro-russes dans une coalition gouvernementale.
La Tribune prévient que le franchissement de ces lignes n’est pas une option : « Si le président [ukrainien]franchit ces lignes rouges, de telles actions conduiront inévitablement à l’instabilité politique dans notre pays et à la détérioration des relations internationales. »
On voit ici que des médias ukrainiens, dont certains sont financés par l’USAID ne se contentent pas de refléter une ligne éditoriale calquée sur la stratégie de l’OTAN, mais lancent un ultimatum pour infléchir la politique étrangère du président nouvellement élu.
Des partenariats avec des médias internationaux
Basé à Londres depuis janvier 2021, le Centre pour la résilience de l’information ou CIR reçoit des financements de l’USAID, du Département d’Etat américain, du Foreign Office britannique et du Ministère des Affaires étrangères australien.
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Selon ses propres mots, le CIR est « une entreprise sociale indépendante et à but non lucratif dédiée à la lutte contre la désinformation, à l’exposition des violations des droits de l’homme et à la lutte contre les comportements en ligne nuisibles aux femmes et aux minorités. »
Centre pour la résilience de l’information : un casting made in USA
Selon l’enquête du média en ligne Declassified UK, le CIR a été fondé par deux vétérans du Foreign Office britannique : Ross Burley, ancien attaché de presse de l’ambassade britannique en Israël, et ancien directeur de plusieurs programmes de lutte contre la désinformation du gouvernement britannique, il a également travaillé dans l’Unité de stabilisation intergouvernementale en tant qu’expert civil déployable en communication stratégique.
Le cofondateur du CIR, Adam Rutland, a passé 14 ans au Foreign Office, notamment au département communication et engagement. L’ancienne directrice du « Disinformation Governing Board » du Département de la Sécurité Intérieure des Etats-Unis, Nina Jankowocz, devient quant à elle la vice-présidente du CIR en septembre 2022.
Declassified UK avait par ailleurs relevé que le conseil consultatif du CIR était notamment composé de Cindy Otis, analyste pendant presque dix ans à la CIA ; de Mo Hussein, ex-attaché de presse au 10 Downing street et conseiller en communication du Ministère de la Défense britannique ; ou encore d‘Elisabeth Braw, membre de l’American Enterprise Institute, un think tank néoconservateur.
Le CIR peut se targuer sur son site d’avoir collaboré avec des dizaines de médias, dont l’Associated Press, la BBC, CNN, The Guardian, le Financial Times, Sky News, Vice News, The Times ou le Washington Post, et dit se concentrer « sur les opérations d’influence malveillantes sur les médias sociaux et les plateformes traditionnelles. » Declassified UK avait toutefois démontré que le CIR se concentrait essentiellement sur la désinformation russe et chinoise, sans avoir produit la moindre enquête équivalente sur les pays de l’OTAN.
Assécher financièrement les médias dissidents
Fondé en 2018 au Royaume-Uni, le Global Disinformation Index (GDI) bénéficie d’un soutien financier du gouvernement britannique (au moins 2,7 millions de livres entre janvier 2018 et mars 2023). Sa mission ? Réduire la désinformation en privant ses producteurs de toute incitation financière : le GDI compile des listes de sites d’actualités jugés problématiques, puis transmet ces listes aux entreprises publicitaires afin de les dissuader de s’affilier aux médias en question.
L’homme derrière le projet, Daniel Rogers, n’est pas un simple universitaire. Professeur à l’université de New York, il a également servi dans le renseignement américain, où il se décrit comme « un physicien computationnel ayant une expérience dans le soutien aux opérations cybernétiques du ministère de la Défense et de la communauté du renseignement ». Un profil qui interroge sur la réelle vocation du GDI.
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L’organisation compte par ailleurs dans ses rangs Anne Applebaum, historienne connue pour ses prises de position ouvertement atlantistes, et membre du conseil de la NED. Elle siège au conseil consultatif du GDI, confirmant ainsi que les réseaux de la NED et de l’USAID sont entrelacés. Le GDI a été au centre d’une querelle partisane aux Etats-Unis lorsque les Républicains de la Commission de la Chambre des représentants sur les Petites Entreprises ont fait remarquer que le GDI n’ajoutait que des sites d’information conservateurs à sa liste noire, tandis qu’il favorisait les sites réputés proches de démocrates (rapport intérimaire 2024 de la commission des petites entreprises de la chambre des représentants). La controverse amène la NED à retirer discrètement son financement pour éviter un scandale.
A l’instar de ses homologues, le GDI a tendance à amalgamer opinion et désinformation : son rapport de 2022 inclut des assertions comme « les Ukrainiens tuent des civils » ou « il y a eu un coup d’Etat en Ukraine en 2014 » dans la catégorie de « désinformation anti-ukrainienne et anti-démocratique ».
Des médias français rejoignent un réseau de fact-checking sous influence
Il ne suffit plus d’informer, il faut certifier l’information. Décréter ce qui est vrai et ce qui est faux, le Fact checking est le nouveau terme à la mode. En 2015, le Poynter Institute, think tank basé aux États-Unis, crée l’International Fact-Checking Network (IFCN). Son but : établir des normes mondiales pour la vérification des faits et certifier les médias respectant ses principes. En France, plusieurs médias majeurs ont rejoint ce réseau : AFP Factuel, les Décodeurs du Monde, 20 Minutes (Fake Off), Libération (Check News), France 24 (Les Observateurs).
En 2019, ces médias rejoignent la plateforme FactCheckEU, financée par l’IFCN. Or, qui finance l’IFCN ? Google, Meta, WhatsApp et YouTube, l’Open Society de Soros, mais surtout la NED, dont le budget provient d’un des volets de l’USAID. L’IFCN organise des remises de prix, Check News de Libération a par exemple remporté le Prix « Fact Forward » en 2018, ainsi qu’une bourse de 50 000 dollars.
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Au lendemain de la réélection de Donald Trump, Mark Zuckerberg annonce la fin du programme de fact-checking sur les plateformes de Meta aux États-Unis, affirmant que les vérificateurs étaient « trop orientés politiquement » et avaient diminué la confiance des utilisateurs. Les membres de l’IFCN se sont indignés de cette décision dans une lettre ouverte (Poynter, janvier 2025). L’AFP nous a précisé que l’IFCN ne rémunérait aucun de ses membres, en dehors de ces bourses et prix ponctuels et somme toute peu fréquents. « L’IFCN doit plutôt être vu comme un label ou une certification, et Meta exige la certification IFCN pour contracter un partenariat avec Facebook, mais en aucun cas l’IFCN ne nous rémunère, il n’est même pas partie prenante du partenariat avec Meta
Les enquêtes biaisées de l’OCCRP
L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), fondé en 2008, s’est imposé comme l’un des plus puissants consortiums d’enquête. Panama Papers, Pandora Papers, affaire Pegasus… autant de révélations majeures orchestrées par ce réseau. Mais une enquête approfondie révèle une forte dépendance aux financements américains. Depuis sa création, l’OCCRP a reçu au moins 47 millions de dollars du gouvernement américain via des structures comme l’USAID et la NED, auxquels s’ajoutent des fonds européens.
💥 Censuré par la télé 🇩🇪, un docu sur l'influent réseau d'investigation @OCCRP a fuité en ligne
— Off Investigation (@Offinvestigatio) January 2, 2025
🗯️ L'OCCRP a permis de faire «avancer la politique étrangère 🇺🇸», y confie son fondateur @DrewOCCRP, qui a par le passé calomnié Julian Assange (@wikileaks)
🔎https://t.co/rTuDcUQUN5 pic.twitter.com/8EiMrryd0X
Ces financements posent une question fondamentale : ces enquêtes sont-elles guidées par l’intérêt public ou par des objectifs géopolitiques ? Des documents révélés par Mediapart et d’autres médias d’investigation montrent que l’OCCRP oriente massivement ses enquêtes vers des cibles hostiles aux États-Unis, notamment la Russie et le Venezuela.
Les liens entre l’OCCRP et Washington sont plus qu’évidents. Notons d’abord que David Hodgkinson, ex-militaire et haut fonctionnaire du Département d’État, aurait facilité la création du réseau. Par ailleurs, Camille Eiss, ex-conseillère anticorruption du Département d’État, a intégré l’OCCRP en 2017 avant de retourner au gouvernement américain en 2022. Autre élément troublant : jusqu’en 2019, l’OCCRP affichait l’USAID comme l’un de ses principaux financeurs sur son site. Cette mention a disparu. Pourquoi ? Parce que des documents internes révèlent que l’USAID détient un droit de regard sur les plans de travail et les recrutements clés de l’OCCRP. Une forme de contrôle éditorial, en contradiction avec l’image d’un journalisme libre et indépendant.
L’USAID décide ce qu’est une bonne information
L’America First Legal Foundation a fait déclassifier un manuel destiné normalement à un usage strictement interne de l’USAID. Ce petit guide nous en apprend plus sur la vision des médias et de la liberté d’expression de l’Agence, ainsi que sur ses préconisations. Le document (accessible ici) a été commenté par la Foundation for Freedom Online, fondée par Mike Benz, un ancien fonctionnaire du Département d’Etat et proche de la mouvance MAGA. M. Benz grossit le trait en présentant ce document comme « un manuel de censure », mais à sa lecture, on comprend néanmoins que l’USAID nourrit une méfiance quasi-pathologique vis-à-vis de tout ce qui s’éloigne des médias mainstream et institutionnels.
Le rapport préconise d’attaquer ces médias en ligne au porte-monnaie en les privant de la manne financière de la publicité, d’utiliser la méthode du « prebunking » qui consiste à fausser les résultats de recherches des « mauvais sujets » et de rediriger l’internaute vers des sources qui contrediront par avance son opinion. Le manuel préconise aussi de cibler les sites de gamers comme Discord afin d’éviter que ne s’y forment « des interprétations du monde qui diffèrent des sources mainstream » et d’interrompre le processus par lequel « les individus contribuent à faire leurs propres recherches » de manière collaborative et de former leur propre « expertise populiste ». Le rapport préconise des mesures à destination des entreprises privées, des médias, des ministères de l’éducation, des gouvernements et des investisseurs. La définition de la désinformation semble large chez l’USAID, puisque la satire et la parodie font partie de cette catégorie, ainsi que la citation hors-contexte d’une information factuelle.
Jeanne Bourgault, la présidente d’Internews semble alignée sur cette vision. Au World Economic Forum, elle déclarait : « La désinformation rapporte de l’argent. Nous devons suivre cet argent… et inciter l’industrie publicitaire mondiale à concentrer ses investissements sur les « bonnes informations ». »
USAID-Funded Internews CEO Jeanne Bourgault pushes for global advertising “exclusion list” to censor “disinformation” at the World Economic Forum.
— KanekoaTheGreat (@KanekoaTheGreat) February 8, 2025
Like what they did to 𝕏?
"Disinformation makes money. We need to follow that money. We need to work with the global advertising… pic.twitter.com/37AUwQ8tiI
Un discours qui rappelle les déclarations récentes de Clara Chappaz, secrétaire d’État française chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, qui appelait à se doter urgemment d’outils « pour s’assurer que les fausses opinions soient sorties de la plateforme [X] », avant de se reprendre, devant l’énormité du lapsus : « pardon… des fausses informations ! »
La ministre @ClaraChappaz veut se doter "d'outils qui permettent de s'assurer que les fausses opinions soient sorties de la plateforme". Lapsus avant de se reprendre : "fausses informations".
— Guillaume Kiefer (@KieferGuillaume) January 13, 2025
La vérité est pourtant bien là : c'est bien les opinions politiques non conformes qui,… pic.twitter.com/akx2e9SVsH
Les préconisations du manuel de l’USAID, qui se basent par ailleurs sur beaucoup de constats justes (la désinformation existe, et elle est omniprésente) n’auraient rien de bien inquiétant si elles n’émanaient pas d’une structure comme l’USAID qui disposait d’un budget deux fois et demi supérieur à celui de la CIA, pour des usages parfois discutables et toujours politiquement orientés comme nous l’avons vu tout au long de cet article.
Donald Trump remet le hard power au goût du jour
De prime abord, se priver d’un instrument de soft power comme l’USAID peut sembler totalement stupide si l’on se place du point de vue de la puissance américaine. De là, on peut formuler plusieurs hypothèses. L’hostilité des médias américains envers Trump n’étant plus à démontrer, il peut sembler logique de couper les financements de toute cette industrie du Fact-Checking et faire ainsi taire des voix dissidentes. Un proche de la maison blanche a déclaré récemment à propos de la fermeture de l’USAID : « L’œil de Sauron, ce n’est pas juste Politico, c’est l’ensemble des médias » (Axios, 6 février 2025).
Par ailleurs, et avec son budget colossal, son opacité comptable, l’USAID fonctionne comme un État parallèle, finançant des réseaux de pouvoir immunisés contre toute alternance politique. En la supprimant, Trump détruit un centre de pouvoir incontrôlable et recentralise l’autorité autour de la Maison blanche, et assèche au passage les réseaux financiers de ses ennemis de toujours : l’Open Society de Soros (260 millions $ de l’USAID), la Bill et Melinda Gates Foundation (30 millions) ainsi que la fondation vaccinale de Bill Gates GAVI (presque cinq milliards de dollars), la Clinton Health Initiative (7,5 millions), systématiquement présents au cœur de ces enchevêtrement de subventions.
La grande époque du soft power, des révolutions colorées et des réseaux d’ONG est peut-être révolue. L’Amérique de Trump et Musk semble vouloir un retour au hard power assumé. Si l’hypothèse se précise, loin de chuter, l’Empire américain ne ferait que commencer. Il prendra simplement moins de gants pour le faire.
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