Le 13 juin prochain se tiendra l’assemblée générale du groupe français Worldline, le leader mondial des solutions et technologies de paiements. Cette grande messe sera l’épilogue d’une violente guerre de l’ombre entre le capitalisme de l’entre-soi à la française et le capitalisme anglosaxon le plus agressif : celui des fonds d’investissement activistes.
Nous sommes le 8 décembre 2023. Dans son bureau londonien, Giuseppe Bivona, ex-banquier d’affaires et co-fondateur du fonds d’investissement Bluebell Capital Partners, réputé pour son agressivité, finalise la relecture de la lettre assassine qu’il s’apprête à envoyer au conseil d’administration de Worldline. C’est souvent ainsi qu’une campagne activiste débute dans le monde de la finance, par une simple lettre. Cette fois, la cible est le Français Worldline, né d’une scission avec le groupe Atos et géant des services de paiements électroniques et des transactions. Giuseppe Bivona sait que sa missive fera l’effet d’une bombe, lui qui vitupère depuis longtemps contre ce capitalisme français de l’entre-soi qui l’horripile.
L’un des plus gros gadins du Cac40
Depuis un peu plus d’un mois, Worldline va mal au point d’inquiéter Bercy qui suit le dossier. Le 25 octobre 2023, le cours de bourse a dévissé de près de 60% en une seule séance. L’un des plus gros gadins jamais enregistrés par le Cac 40 ! En cause ? Le groupe venait de revoir à la baisse ses objectifs financiers pour 2023.
Pour se justifier, le directeur général de l’entreprise, Gilles Grapinet, a accouché d’un invraisemblable communiqué d’autocélébration où l’on peut lire : « après un bon début d’année, nous sommes rentrés dans un deuxième semestre où la conjoncture mondiale a commencé à se détériorer, en particulier en Allemagne ».
Ce que le dirigeant occulte sciemment est que la baisse des ventes outre-Rhin ne relève pas de la conjoncture mondiale mais d’une sanction des autorités allemandes. Celles-ci ont en effet contraint Worldline à résilier de nombreux contrats avec des commerçants allemands à cause d’un risque de blanchiment d’argent !
Alors que Worldline est cotée en bourse, la direction de l’entreprise n’informe pas les marchés financiers de ses déboires. Comme le révèle Giuseppe Bivona dans sa lettre au conseil d’administration de Worldline, que Off Investigation s’est procuré, l’information a fuité de façon rocambolesque. « Nous avons été véritablement surpris de découvrir, au détour d’une question d'un analyste lors de la conférence téléphonique sur les résultats, que le choix de la Société de cesser ses relations avec certains commerçants à haut risque en Allemagne n’étaient pas une décision commerciale autonome. Au lieu de cela, elle résulte d'une décision rendue par le régulateur allemand (Bafin) le 7 septembre ».
Bluebell veut faire le ménage
Pour redresser la barre, le fonds Bluebell Capital Partners, qui dit avoir investi dans Worldline pour un montant inconnu, réclame pêle-mêle le départ immédiat du président du conseil d’administration, Bernard Bourigeaud qui a « échoué à remplir son rôle de direction et de surveillance » ; un bilan de performance et une évaluation du directeur général Gilles Grapinet ; la réduction du conseil d’administration de 17 à 13 membres ; le départ de trois administrateurs dont le représentant de la filiale allemande ; et la vente d’une division de e-transactions jugée inutile.
Le raisonnement de Bluebell Capital Partners est simple : le conseil d’administration est sensé contrôler et sanctionner si besoin l’équipe exécutive. Mais, dans le cas de Worldline, il n’a pas pu le faire à cause de liens personnels qui unissent les administrateurs et les dirigeants opérationnels de la société. Le fameux entre-soi du capitalisme à la française !